Paris et Lyon se rebiffent contre le quick commerce
Les municipalités de Paris et Lyon veulent empêcher l’implantation de dark stores sur leur territoire avec les outils juridiques à leur disposition, les plans locaux d’urbanisme. Au cœur du débat, une question : ces équipements sont-ils des entrepôts ou des commerces ?
Jamal El Hassani
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Jamal El Hassani
- De plus en plus de villes s’opposent à l’implantation de dark stores, vus comme des menaces pour les commerces de proximité.
- Elles tentent d’empêcher leur installation à l’aide des plans d’urbanisme.
- Les quick commerçants contournent ces règles en déclarant leurs entrepôts comme des commerces.
- Difficiles à catégoriser, ces nouveaux acteurs créent un flou juridique.
Les élus des deux plus gros marchés du quick commerce en France, Paris et Lyon, sont en train de se rebeller contre l’implantation de dark stores. Le 16 décembre, c’est l’adjointe au maire écologiste de Lyon, Camille Augey, qui ouvre les hostilités et étrille le quick commerce en conseil municipal, interpellée par un élu sur l’implantation d’un dark store de Flink dans le 6e arrondissement lyonnais, qui sera finalement bloquée par la municipalité. Deux jours plus tard, le 18 décembre, c’est au tour du numéro deux de la mairie de Paris, Emmanuel Grégoire, de lui emboîter le pas via une tribune dans le JDD qui dénonce cette nouvelle activité.
Les deux villes formulent une opposition politique au quick commerce (disparition potentielle des commerces de proximité, conditions sociales…), mais au-delà, elles comptent bien utiliser les outils à leur disposition – principalement les plans locaux d’urbanisme – pour s’opposer au quick commerce. Auprès de LSA, Camille Augey annonce la couleur : « Nous ferons tout pour freiner le quick commerce à Lyon car ce n’est pas un futur désirable. »
Justement, à Lyon, c’est le plan local d’urbanisme et d’habitat (PLU-H) qui a permis à la ville de refuser à Flink l’implantation d’un nouveau dark store. Propres à chaque ville, tout en respectant un ensemble de règles nationales, les PLU-H prévoient des équilibres entre les différents types de bâtiments : logements, commerces, entrepôts, bureaux… Or Flink a souhaité transformer un bâtiment à destination commerciale en entrepôt, ce qui a entraîné le refus de la mairie au motif qu’un entrepôt n’était pas compatible avec le plan d’urbanisme du quartier. Contacté, Flink a décliné notre demande d’interview.
Clarification attendue
Les concurrents de Flink sont, eux aussi, au courant du problème. Plus précisément, ils en jouent : plutôt que de demander, comme Flink, l’autorisation d’installer un entrepôt à la place d’un restaurant, ils ont tout simplement considéré que leurs entrepôts étaient des commerces et qu’ils n’avaient donc aucune autorisation à demander. Précisons que la destination commerciale offre aussi davantage de possibilités d’implantation. Car les PLU-H ont, assez logiquement, réservé plus d’espace aux commerces qu’aux entrepôts, en particulier dans les centres-villes.
Cajoo reconnaît posséder à la fois des dark stores déclarés en entrepôts et en commerces, selon les villes et quartiers. De son côté, Gorillas assume totalement d’avoir déclaré tous ses dark stores comme des commerces. « Je ne parle jamais de dark stores ou d’entrepôts, je parle de magasins, martèle Pierre Guionin, directeur général de Gorillas en France. Nous avons pris ce sujet du flou juridique à bras-le-corps et participé à des discussions avec Bercy pour expliquer la situation, raconte-t-il. Il y avait eu la même problématique avec le drive piéton il y a dix ans. Nous nous considérons comme des commerçants, donc tous nos bâtiments sont des commerces. »
Opposants comme promoteurs du quick commerce réclament, en tout cas, une clarification. Lyon aimerait que la loi permette aux collectivités d’encadrer cette activité. De son côté, le cofondateur de Cajoo, Henri Capoul, suggère deux solutions. « Soit on considère que les dark stores sont des magasins dont les applis sont les vitrines, soit on crée une sous-catégorie dans la destination commerciale des bâtiments qui précise les droits et devoirs des quick commerçants. »
Double jeu
La députée MoDem et conseillère de Paris Maud Gatel a commencé à se pencher sur le sujet : « Je ne suis pas du tout adepte du quick commerce, mais c’est une évolution inarrêtable. » Elle serait plutôt favorable à un statut hybride pour les bâtiments, entre commerces et entrepôts. Maud Gatel, qui s’intéresse aussi aux conditions de travail – « Ce n’est pas parce qu’il y a des CDI que les conditions sociales sont idéales » – remarque un double jeu des plates-formes. « Les acteurs du quick commerce veulent être considérés comme des commerces pour leurs bâtiments, mais ils ne veulent pas de la convention collective du commerce pour leurs salariés. Si vous regardez les codes NAF de ces sociétés, elles ont choisi d’autres conventions collectives moins protectrices comme la vente à distance ou la programmation informatique. »
En attendant une éventuelle évolution de la loi, les start-up de quick commerce ont déjà trouvé la parade : proposer davantage d’interactions dans leurs locaux. Gorillas permet déjà aux utilisateurs de l’appli Too Good To Go de récupérer leurs paniers dans ses entrepôts. Mais surtout, Cajoo et Gorillas ont affirmé à LSA préparer la possibilité pour les clients de venir chercher leurs courses directement dans leurs entrepôts, plutôt que de se faire livrer. Difficile, alors, de les traiter différemment des drives piéton proposés par tous les grands distributeurs. « En l’état des textes, on ne peut pas considérer les dark stores comme des entrepôts s’ils proposent du click & collect », ont assuré à LSA plusieurs avocats du cabinet BCLP, qui conseille des acteurs des dark kitchens et dark stores.
Si les quick commerçants préféreraient une conciliation avec les villes ou une clarification législative, ils semblent aussi prêts pour une bataille juridique.