Getir-Gorillas : une fusion laborieuse en France dans un climat social tendu
Les quick commerçants Getir, Gorillas et Frichti disposent désormais d’une seule direction en France. La marque Gorillas devrait disparaître au profit de Getir. Mais l’épineuse question des dark stores et de leurs effectifs n’est pas encore réglée, ce qui nourrit les inquiétudes des syndicats.
Jamal El Hassani
\ 10h30
Jamal El Hassani
Annoncé en décembre 2022, le rachat de Gorillas par Getir pour créer un leader du quick commerce commence à prendre forme. Selon nos informations, la prise de contrôle de Getir s’est matérialisée par la nomination le mois dernier de Nicolas Musikas, actuel directeur général de Getir, à la direction de Gorillas et de Frichti (racheté par Gorillas en 2022). Il pilote désormais les trois entités en France. Quant aux marques, la piste explorée, mais qui doit encore être confirmée, est celle d’une disparition de la marque et de l’appli Gorillas, au profit de Getir. En revanche, Frichti conserverait son identité propre car l’ex start-up française est très bien identifiée sur certaines verticales, notamment les services aux entreprises. Un changement de marque risquerait d’endommager son activité. Les équipes de Getir vont également déménager dans les locaux parisiens de Gorillas et Frichti.
Le reste des modalités est encore à définir. Durant ces trois prochains mois, les directions des ressources humaines, des finances et des opérations de Getir et Gorillas doivent réfléchir à la manière de fusionner leurs forces. La question des entrepôts est cruciale. Il faudra arbitrer lesquels sont en doublons et lesquels doivent être maintenus pour densifier le réseau de livraison rapide. La problématique réglementaire doit également être prise en compte, car une partie des dark stores des deux entreprises sont catégorisés comme des commerces et non des entrepôts, et pourraient être forcés à la fermeture ou au déménagement. Gorillas a d’ailleurs déjà commencé à réduire la voilure en fermant des dark stores, certains avant, d’autres après l’acquisition par Getir. Il n’existe plus que 18 dark stores Gorillas en France, contre 25 à son pic l’année dernière. De son côté, Getir revendique 52 dark stores en France.
Flou sur les licenciements
Du fait de ces incertitudes, la direction entretient toujours le flou sur un éventuel plan de licenciement, dont s’inquiètent les syndicats. La situation est surveillée depuis plusieurs mois par l’Inspection du travail. Car l’année dernière déjà, lorsque les deux entreprises n’avaient pas encore lié leurs destins, plusieurs vagues de licenciements ont eu lieu, sans pour autant que des plans de sauvegarde de l’emploi soient déclenchés. Les syndicats avaient alors dénoncé des plans de licenciement déguisés en licenciement individuels disciplinaires. Il reste encore environ 500 salariés chez Gorillas et 1100 chez Getir, contre respectivement 1300 et 1800 employés au pic d’embauches des deux sociétés en 2021. A noter que chez nos voisins belges, où une fusion entre les deux entités est aussi en cours, la presse évoque entre 200 et 300 suppressions de postes prévues.
Ces incertitudes sur l'avenir viennent s’ajouter à un climat social déjà tendu dans les deux entreprises. Leurs représentants syndicaux dénoncent une forte pression psychologique et des pratiques abusives de la part de certains managers des dark stores. Ce qui provoque de nombreuses absences et arrêts maladie dans les entrepôts, accroissant la charge de travail d’équipes déjà amoindries par les réductions d’effectifs. Signe de ces tensions, Getir en est à son quatrième DRH en un an et demi. L’entreprise fait notamment face à une situation très tendue à Villeurbane, où l’un de ses dark stores a été braqué à de multiples reprises et où, selon la CFDT, les salariés qui ont exercé leur droit de retrait pour protester contre leur manque de sécurité, ont été sanctionnés. Des cas de racismes de managers envers les livreurs ont également été remontés par les syndicats.
Livreurs sans-papiers
Du côté de Gorillas, c’est la découverte l’année dernière de plus d’une centaine de livreurs sans-papiers, selon le décompte de la CGT, qui inquiète. Les représentants craignent que ces livreurs fassent les frais en priorité d’un éventuel plan de licenciement et tentent de les faire régulariser d’ici là. Une partie d’entre eux a démissionné, ce qui porterait leur nombre à une cinquantaine aujourd'hui. La direction de Gorillas s’était engagée l’année dernière à faciliter leur régularisation, et Getir désormais maître de Gorillas a renouvelé cet engagement. Plusieurs dossiers de régularisation sont en cours auprès des préfectures. Contactée pour commenter notre article, la direction de Getir France dit ne pouvoir « ni confirmer ni infirmer les informations qu'il contient ».