De l’Emerveillement avant toute chose
Mes très chers lecteurs,
La lettre de ce jour m’est inspirée par Dame Nature.
Ici, en Normandie, mon jardin a revêtu son blanc manteau, et par ma fenêtre, la petite dépendance a des allures de chalet de haute montagne (j’habite au pied d’une falaise toute forestière).
Est-il vraiment nécessaire de vous rappeler ici, mes amis, combien les synchronicités sont légions dans ma vie ?
Le rythme des saisons que je vis est en ce moment très concomitant à celui que le narrateur de La Recherche de Proust traverse.
Bien que durant ma lecture, il eût célébré plusieurs nouveaux ans, rendue à la seconde moitié du deuxième tome de l’exquise saga, l’hiver est beaucoup plus présent, selon moi, qu’un printemps doux et qu’un été suave, qui avaient retenu mon attention lorsque j’étais Du côté de chez Swann !
Est-ce parce que les marques de l’hiver se sont (enfin) manifestées à moi, en-dehors de ma lecture, que ses empreintes sous la plume de l’auteur, se sont faites plus remarquables ? Fort probable que ce soit le cas…
Toutefois, que je vive un hiver réel et fictionnel en même temps a un côté très confortant, voire confondant !
J’ai voulu écrire aujourd’hui de la magie que chaque année, l’hiver me et nous fait tous vivre.
En effet, que nous aimions ou pas l’hiver, le froid et les inconvénients logistiques qui y sont nécessairement associés, je suis toujours frappée par la régularité saisonnière d’un fait tout simple : l’émerveillement face à la magie de la neige.
Au temps pour moi, je m’exprime ici en tant qu’habitante de la Normandie, finalement région du sud de l’Europe… Puisque j’imagine que la neige ne revêt pas la même périodicité d’exception au Nord du continent ! Et si parmi vous certains veulent partager leur vision de la neige dans des territoires où elle est plus coutumière, je serais ravie de vous lire (vous pouvez m’envoyer vos témoignages en réponse de cet email).
Donc, ce matin en ouvrant ma fenêtre, je saisis, d’un geste devenu réflex quasi inconscient, mon téléphone intelligent (ouais, j’essaye, en dépit du nom de baptême de ce bulletin d’information hebdomadaire, de m’exprimer en “bon” français, donc smartphone = téléphone intelligent !), pour immédiatement, sans y réfléchir, saisir, imprimer, adopter, faire mienne, pour toujours, cette vision ouatée d’un paysage quotidien.
Seulement, de part les échanges de messages redoublés en ces jours-là, je constate bien vite que je ne suis pas la seule à faire de même. Certes, la neige, la manifestation extérieure et bien visible, mais aussi auditive, odorante et toute sensorielle, est un phénomène que nous connaissons tous sous nos latitudes, mais pourquoi donc avons-nous tant besoin, de le partager d’une part, et surtout, d’en garder le souvenir, sous forme de pixels au blanc dominant ?
Hé bien, voici ma théorie : parce que cela nous enchante, nous fait plaisir, et nous é-mer-veille !
Parce que c’est Beau ! et surtout, parce qu’on sait que ça ne durera pas…
Ainsi, l’émerveillement, est-il nécessairement associé à l’éphémère, l’exceptionnel, et pour les animaux d’habitude (homo habitus, pour ne surtout pas parler de Bourdieu ici, mais le plagier volontiers), que nous sommes, l’exception, l’éphémère jugé beau, il faut s’en saisir, se l’approprié, voire et de plus en plus le partager.
Evidemment, je pourrais dénoncer par ce mécanisme de réflexe les dangers qu’il génère, en nous empêchant de “vivre l’instant présent”, et rassurer les défenseurs de la contemplation, de la méditation…
Sauf que, je n’ai pas envie de me faire censeur aujourd’hui… (voire jamais, je l’espère)…
Je préfère parler de l’émerveillement d’un point de vue philosophique et spirituel.
Qu’il nous mène les uns à immédiatement figer pour l’éternité sur un support extérieur à notre mémoire (nos appareils photo, ou encore nos écrits, comme je le fais présentement), ou les autres à rester extatiques face à un spectacle qui ne durera pas, l’émerveillement a un lien avec la contemplation et la méditation, et ce lien, c’est tout simplement un lien d’opposition.
Contrairement à la méditation et la contemplation, l’émerveillement se défait de la pensée, d’où la quasi-systématisation de nos jours de vouloir s’en saisir par un acte réflexe.
Qu’il n’est pas doux et vivifiant de ne plus penser ? de vivre et ressentir des choses sans l’intervention de cette dernière, prisme où règne en maître un entendement, une intelligence, parfois mal orientés et sources de souffrance ?
L’émerveillement, et l’état d’étonnement auquel il mène systématiquement appartient à l’intuition, grande rivale de la pensée, et, (vous ne l’aviez pas vu venir), c’est le fondement, la base-même de la philosophie (tadaaa !).
Ce n’est pas (que) moi qui le dit, puisque déjà, dans le Théétète, Platon (celui qui a de larges épaules), écrivait : “Le sentiment philosophique : s’étonner. C’est l’origine même de la philosophie. L’étonnement, cet état qui consiste à s’émerveiller, c’est le sentiment tout à fait caractéristique du philosophe.”
Cet état est de plus jugé divin dans les spiritualités et religions d’extrême Orient, notamment dans le bouddhisme, ou l’émerveillement est synonyme d’éveil, d’illumination.
Sans aller plus loin dans ces démonstrations, je reviens à la notion d’universalité, celle qui nous réunit tous face à ces paysages enneigés inhabituels et évanescents pour les territoires comme la Normandie. Cette universalité d’émerveillement, d’étonnement, de sensation de beauté, c’est être dépossédé de toute notre pensée finalement, face à une surprise (même si les prévisions météo avaient annoncé qu’il neigerait, on s’en étonne, et s’émerveille toute de même). Pourquoi donc ?
Je pense (une fois n’est pas coutume), que c’est parce que l’émerveillement suspend l’entendement, que ce lâcher-prise total, et irrésistible nous fait toucher à la réalité profonde de ce qui est, c’est vivre véritablement l’instant présent, sans même le vouloir, c’est être récepteur de la perfection du monde dont on est à la fois spectateur et acteur (tout en n’ayant aucune conscience d’en être, c’est donc à ce moment-là, qu’on ne fait plus qu’Un avec le Tout…
D’ailleurs, le courant du soufisme considère et encourage cet état d’émerveillement qui poussé à un paroxysme que seul les sages peuvent atteindre, mène à ce qu’on nomme “l’Ivresse de Dieu”.
Il n’y a rien de plus simple et de plus naturel et impeccable (sans péché) que l’émerveillement, en témoigne une parole du Christ : “Quiconque ne recevra pas le royaume de Dieu comme un petit enfant n’y entrera point.” dit Jésus (Luc 18, 17).
Car oui, nous redevenons tous des enfants, face à la surprise, en témoigne des batailles de boules de neige sur les parkings de sociétés où, des adultes, le temps d’un instant stoppent la pensée, et vivent comme des enfants !
En vous souhaitant à tous, un merveilleux Chemin,
Que la Paix soit sur vous,
Habiba Hafsaoui-Hellégouarch