The Pilgrimystic Post n° 6

Jeudi 14 décembre 2023

Lettre à ma mère, ou les pouvoirs de l'écriture

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bonne lecture !

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Salutations  

 

Ce matin, alors que j'écoutais Barbara au volant, non pour (seulement) m'enivrer de nostalgie, mais pour expérimenter le mécanisme du souvenir, dont je voulais vous partager ma perception dans la lettre du jour, mon téléphone sonna et je décrochai.

 

C'était ma mère, et à sa voix, je sentais que quelque chose de peu ordinaire venait d'avoir lieu, sans pour autant que ce soit grave...

Après les politesses d'usage, venant au fait, elle me raconte la double découverte qu'elle fît ce matin, lors d'un rangement de documents.

 

Ménageant son suspens et me présentant vivement avec la chronologie exacte de ses sensations et émotions, je vivais avec elle, ce qu'elle venait de ressentir.

Elle était tombée sur une lettre ancienne, courrier antérieur à ma naissance, envoyé et reçu sur un autre continent.

Fait original et évidemment non négligeable, la lettre, que je découvrirai plus tard dans la journée, rédigée sur un beau papier, au stylo plume, était datée du 14 décembre 1988... Or, nous sommes bien le 14 décembre aujourd'hui ! Etrange coïncidence !

Cette lettre donc, adressée à ma mère par une parente par alliance, était violente, dure, rigide, et pleine de reproches envers elle. Nul besoin dans rapporter le fond ici, le plus important était que cette lettre, conservée au-delà des mers, du temps, des déménagements, a fait l'effet d'un coup de poignard pour ma mère, qui ressentait alors tristesse et colère.

 

Un peu désemparée, je m'apprêtais à prononcer des paroles apaisantes, appelant au pardon, à la paix, etc. Sauf que ma mère me dit : "J'ai toujours eu énormément de chance dans ma vie, et pour preuve, après avoir lu cette lettre qui m'a fait beaucoup de mal, je suis tombée sur une lettre de toi, juste à côté de celle-ci, et elle m'a fait un bien fou, elle m'a apaisée. Cette lettre est merveilleusement bien écrite, tu écris vraiment bien".

 

À ce moment-là, j'étais en pleine réflexion quant à l'utilité, la vanité d'écrire, et remettais en question mon style, et mes projets d'écriture en cours.

Alors, entendre de la bouche de ma mère, cette femme exigeante, de tels compliments sur mon écriture, j'ai beau me dire que je ne tiens pas compte de ce pensent les lecteurs de mon oeuvre, force est de constater, que... pas toujours !

 

Curieuse, je m'interroge, et lui demande de quelle lettre il s'agit, tentant de me remémorer ce que j'avais pu lui écrire qui la rende si heureuse, et lui permettre de se sentir si bien après avoir vécu une telle souffrance à la lecture de la précédente missive... Car j'ai souvent employé la lettre manuscrite, puis l'e-mail pour communiquer avec mes parents, notamment pour aborder des sujets difficiles, qui me tenaient à coeur.

 

Elle me dit qu'il s'agit d'une lettre que je lui ai rédigée à l'occasion d'un de ses anniversaires, peu après la fin de "la maladie".

 

Je n'avais toujours pas plus d'idée sur cette lettre que j'avais écrite, mais la manière dont ma mère l'a décrite, et surtout l'état émotionnel de joie, d'apaisement, et encore plus les compliments quant à ma plume, m'ont émue, aux larmes (évidemment), larmes auxquelles ma mère me disait "ne pleure pas", pensant qu'on ne pleure que de douleur, ce à quoi je lui ai dit "ce sont des larmes de joie" !

 

La curiosité d'une part, et le vif émoi de ma mère d'autre part, m'ont donné l'immédiate envie et énergie d'aller lui rendre visite, pour lire et voir de mes propres yeux ces fameuses lettres. Ma mère avait été très chamboulée, et m'avait dit " j'avais envie de te dire de venir, mais j'ai préféré t'appeler et te raconter ce que j'ai ressenti", elle avait probablement voulu me ménager, ne pas m'imposer de faire le déplacement, qui souvent me coûte, mais c'est moi qui spontanément lui ai dit "je vais venir dès que j'aurai fini ce que j'ai à faire, j'ai hâte de voir ces lettres !".

 

Un peu plus tard, arrivée chez mes parents, ma mère me montre dans le même ordre que la découverte qu'elle en fît, les deux lettres.

 

Ayant lu la première, celle, pleine de reproches, et en connaissant l'auteur, je l'ai lu d'un oeil évidemment critique, mais calme et sans commenter quoique ce soit, ce n'est pas mon histoire, j'ai simplement pris acte de ce qui a pu autant malmener ma mère trente cinq années plus tard.

 

Ensuite, elle me tend Ma lettre, bien pliée, conservée dans son enveloppe d'époque (tout comme celle de 1988), celle que je lui ai écrite en 2010, effectivement après la "maladie".

 

Je me dois d'expliciter ici de quelle maladie il s'agit. Sans aller trop dans les détails, on a diagnostiqué un très violent et virulent cancer à ma mère, alors que j'étais en première année de "prépa", en internat, loin de la maison.

Cette époque a été très difficile pour toute la famille, car à ce moment-là, il y avait de fortes probabilités pour qu'elle ne survive pas, et que la maladie l'emporte, et même si elle répétait sans cesse, pour (se) nous rassurer : " la mauvaise graine ne meurt jamais", nous n'étions pas sereins, et le chemin de la guérison, puis de la rémission a été très long.

 

C'est donc à vingt ans, en janvier 2010 que j'ai rédigé cette lettre, à l'occasion de l'anniversaire de ma mère et de la déclaration de sa totale rémission, après plusieurs années de lutte, où nous étions suspendus à ses résultats médicaux.

 

Ayant maintenant à l'esprit ce contexte, je comprends ma motivation à écrire à ma mère à coeur ouvert. Je suis la plus exaltée de la famille, mais, nous n'avons pas coutume au quotidien à se répandre autant en émotion.

Aussi n'ai-je pas lu la lettre comme j'aurais dû la lire.

 

En effet, ma seule obsession, à ce moment-là, c'était de tenter de me rappeler l'état émotionnel, le lieu de la rédaction de cette lettre, mais aussi, je voulais voir quel style j'avais à vingt ans, et s'il s'était amélioré...

Bref, une dissection formelle, sans tenir compte du fond.

 

Bien vite, à la lecture, que maman a eu la sagesse, de me laisser faire seule dans le salon, les larmes, mes fidèles compagnes, se sont mises à couler...

Non pas parce que je me souvenais de l'état dans lequel j'étais et nous étions après avoir tous lutté contre ce maudit cancer, mais parce qu'à l'instant présent, de la lecture, les mots, les phrases, mon écriture en somme, m'a touchée, et par l'intermédiaire des mots que j'avais écrit, j'ai pu retourner à ces années-là et ressentir, me souvenir de ce que ça signifiait "guérir", et par la même occasion, j'ai pu apprécier le rôle de médiateur qu'a l'écriture, lorsqu'elle est vraie.

 

Je ne m'étends pas plus et vous laisse avec les photographies (et la retranscription, pour meilleure lecture) de ces lettres, images que j'ai capturées avant de repartir chez moi, convaincue que j'allais vous raconter cette histoire, avec l'accord de maman, bien évidemment !

 

Retranscription de la lettre ci-dessus

 

(anniversaire de l'année 2010)

 

Lettre à ma très chère mère,

 

Nous voici (presque) tous réunis ici aujourd'hui pour te souhaiter un très joyeux anniversaire. Voilà pas mal d'années maintenant que tu es comme disait ta propre mère " une invitée sur cette terre". Certains disent que le Paradis est terrestre, tu en ferais volontiers partie. Cependant le séjour sur cette terre n'a pas toujours été simple et facile à supporter. Or, c'est cela même la vie. Ombre et lumière, bonheur et malheur, rires et pleurs... Tout n'est qu'oxymores, oppositions et paradoxes. Comme je l'ai dit c'est cela même la vie.

 

Aussi tu en as connu des moments de joie, de bonheur et tu mérites et du dois encore en connaître. Mais aussi tu as rencontré l'angoisse, le malheur et des déceptions. Pourtant tu es là, souriante, toujours heureuse de vivre. Car c'est toi-même, la vie, ta vie mais aussi la nôtre, celle de ton mari, la mienne, celle de Hadjar et de Habib. Car sans toi, on ne serait pas là mais aussi si tu nous avais quitté, nous serions - j'en suis certaine - moins bons et bien moins vertueux.

 

Bien que tu aies été choisie pour subir cette douleur de la maladie, je ne pense pas que ce soit une punition. Loin de moi l'idée de la nommer bénédiction. Mais si ce fût toi, c'est parce que l'on savait que tu relèverais non sans aucune hésitation, ni faux pas ce défi. Sacré défi tu me diras. Certes, mais il y a ceux qui doivent sans cesse se battre et relever les défis de la vie car ce sont les plus forts. les autres, trop faibles doivent être épargnés, car trop fragiles.

 

Ainsi à ton image de femme indépendante et très bonne mère de famille, nous, tes enfants - au nom de qui je prends la parole - avons hérité de ces défis que nous devons relever et que nous faisons naturellement. Le besoin et l'envie de nous élever est inscrit en nous et fait partie de notre nature.

ma soeur et moi nous définissons souvent comme des femmes modernes, évoluées et profondément admiratives de nos origines orientales et maghrébines. Très souvent on nous trouve très ouvertes, en avance et tellement bien dans notre peau. En réponse, on se regarde elle et moi, et avec un sourire d'intercompréhension, on dit d'une même voix : "ça c'est maman !"

 

En effet, bien souvent aussi je parle de toi comme d'une héroïne des temps modernes. Comme une féministe (modérée, n'exagérons rien !), comme celle qui est pour l'émancipation de la femme. Je pense que cet élément, ce refus de soumission nous a été transmis et il nous définit.

 

Aujourd'hui, je cherche à accéder à un métier qui me permettrait de vivre pleinement et intellectuellement la culture et les choses qui nous instruisent et aussi qui puisse me permettre d'être profondément femme et à mon tour devenir mère.

 

Ton histoire, et donc notre histoire, mérite un intérêt, non sans respect et ton témoignage s'inscrit dans l'Histoire. Regarde tu t'es sortie de la maladie en en riant et quelle meilleure thérapie que le rire !? Il te va tellement bien. Alors pour ton anniversaire et tous les suivants je ne te demanderai seulement de nous produire ton plus beau sourire, celui qui avec ta rationalité t'a permis de t'en sortir. Du courage ? Beaucoup parlent de courage quant à ta réaction face à la maladie... Je ne suis pas d'accord car qu'est ce que le courage ? Sinon une simple médiété entre lâcheté et témérité qui sont des "vertus" trop humaine au sens masculin et surtout motivées par la peur. Or toi justement la peur tu ne la combats pas, tu t'en sers positivement, je dirais donc plutôt que c'est ta vie et ton aspiration à celle-ci, sans crainte aucune de la mort, qui t'a donné le choix évident de relever le défi et de ne jamais te laisser abattre.

 

Enfin, je m'arrête ici au risque de ne plus pouvoir le faire. Ainsi une fois de plus je te souhaite un très joyeux anniversaire, on ne peut plus symbolique, car il marque la sortie du trouble et de l'enfer que tu as pu connaître et porte aussi la marque de l'entrée dans la nouvelle année, la nouvelle décénnie et donc dans une belle et nouvelle étape de notre vie.

 

Je t'embrasse fort ma très chère maman,

 

Habiba

 

Habiba Hafsaoui-Hellégouarch
pour Habiba Moon

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