Salutations
Ce matin, alors que j'écoutais Barbara au volant, non pour (seulement) m'enivrer de nostalgie, mais pour expérimenter le mécanisme du souvenir, dont je voulais vous partager ma perception dans la lettre du jour, mon téléphone sonna et je décrochai.
C'était ma mère, et à sa voix, je sentais que quelque chose de peu ordinaire venait d'avoir lieu, sans pour autant que ce soit grave...
Après les politesses d'usage, venant au fait, elle me raconte la double découverte qu'elle fît ce matin, lors d'un rangement de documents.
Ménageant son suspens et me présentant vivement avec la chronologie exacte de ses sensations et émotions, je vivais avec elle, ce qu'elle venait de ressentir.
Elle était tombée sur une lettre ancienne, courrier antérieur à ma naissance, envoyé et reçu sur un autre continent.
Fait original et évidemment non négligeable, la lettre, que je découvrirai plus tard dans la journée, rédigée sur un beau papier, au stylo plume, était datée du 14 décembre 1988... Or, nous sommes bien le 14 décembre aujourd'hui ! Etrange coïncidence !
Cette lettre donc, adressée à ma mère par une parente par alliance, était violente, dure, rigide, et pleine de reproches envers elle. Nul besoin dans rapporter le fond ici, le plus important était que cette lettre, conservée au-delà des mers, du temps, des déménagements, a fait l'effet d'un coup de poignard pour ma mère, qui ressentait alors tristesse et colère.
Un peu désemparée, je m'apprêtais à prononcer des paroles apaisantes, appelant au pardon, à la paix, etc. Sauf que ma mère me dit : "J'ai toujours eu énormément de chance dans ma vie, et pour preuve, après avoir lu cette lettre qui m'a fait beaucoup de mal, je suis tombée sur une lettre de toi, juste à côté de celle-ci, et elle m'a fait un bien fou, elle m'a apaisée. Cette lettre est merveilleusement bien écrite, tu écris vraiment bien".
À ce moment-là, j'étais en pleine réflexion quant à l'utilité, la vanité d'écrire, et remettais en question mon style, et mes projets d'écriture en cours.
Alors, entendre de la bouche de ma mère, cette femme exigeante, de tels compliments sur mon écriture, j'ai beau me dire que je ne tiens pas compte de ce pensent les lecteurs de mon oeuvre, force est de constater, que... pas toujours !
Curieuse, je m'interroge, et lui demande de quelle lettre il s'agit, tentant de me remémorer ce que j'avais pu lui écrire qui la rende si heureuse, et lui permettre de se sentir si bien après avoir vécu une telle souffrance à la lecture de la précédente missive... Car j'ai souvent employé la lettre manuscrite, puis l'e-mail pour communiquer avec mes parents, notamment pour aborder des sujets difficiles, qui me tenaient à coeur.
Elle me dit qu'il s'agit d'une lettre que je lui ai rédigée à l'occasion d'un de ses anniversaires, peu après la fin de "la maladie".
Je n'avais toujours pas plus d'idée sur cette lettre que j'avais écrite, mais la manière dont ma mère l'a décrite, et surtout l'état émotionnel de joie, d'apaisement, et encore plus les compliments quant à ma plume, m'ont émue, aux larmes (évidemment), larmes auxquelles ma mère me disait "ne pleure pas", pensant qu'on ne pleure que de douleur, ce à quoi je lui ai dit "ce sont des larmes de joie" !
La curiosité d'une part, et le vif émoi de ma mère d'autre part, m'ont donné l'immédiate envie et énergie d'aller lui rendre visite, pour lire et voir de mes propres yeux ces fameuses lettres. Ma mère avait été très chamboulée, et m'avait dit " j'avais envie de te dire de venir, mais j'ai préféré t'appeler et te raconter ce que j'ai ressenti", elle avait probablement voulu me ménager, ne pas m'imposer de faire le déplacement, qui souvent me coûte, mais c'est moi qui spontanément lui ai dit "je vais venir dès que j'aurai fini ce que j'ai à faire, j'ai hâte de voir ces lettres !".
Un peu plus tard, arrivée chez mes parents, ma mère me montre dans le même ordre que la découverte qu'elle en fît, les deux lettres.
Ayant lu la première, celle, pleine de reproches, et en connaissant l'auteur, je l'ai lu d'un oeil évidemment critique, mais calme et sans commenter quoique ce soit, ce n'est pas mon histoire, j'ai simplement pris acte de ce qui a pu autant malmener ma mère trente cinq années plus tard.
Ensuite, elle me tend Ma lettre, bien pliée, conservée dans son enveloppe d'époque (tout comme celle de 1988), celle que je lui ai écrite en 2010, effectivement après la "maladie".
Je me dois d'expliciter ici de quelle maladie il s'agit. Sans aller trop dans les détails, on a diagnostiqué un très violent et virulent cancer à ma mère, alors que j'étais en première année de "prépa", en internat, loin de la maison.
Cette époque a été très difficile pour toute la famille, car à ce moment-là, il y avait de fortes probabilités pour qu'elle ne survive pas, et que la maladie l'emporte, et même si elle répétait sans cesse, pour (se) nous rassurer : " la mauvaise graine ne meurt jamais", nous n'étions pas sereins, et le chemin de la guérison, puis de la rémission a été très long.
C'est donc à vingt ans, en janvier 2010 que j'ai rédigé cette lettre, à l'occasion de l'anniversaire de ma mère et de la déclaration de sa totale rémission, après plusieurs années de lutte, où nous étions suspendus à ses résultats médicaux.
Ayant maintenant à l'esprit ce contexte, je comprends ma motivation à écrire à ma mère à coeur ouvert. Je suis la plus exaltée de la famille, mais, nous n'avons pas coutume au quotidien à se répandre autant en émotion.
Aussi n'ai-je pas lu la lettre comme j'aurais dû la lire.
En effet, ma seule obsession, à ce moment-là, c'était de tenter de me rappeler l'état émotionnel, le lieu de la rédaction de cette lettre, mais aussi, je voulais voir quel style j'avais à vingt ans, et s'il s'était amélioré...
Bref, une dissection formelle, sans tenir compte du fond.
Bien vite, à la lecture, que maman a eu la sagesse, de me laisser faire seule dans le salon, les larmes, mes fidèles compagnes, se sont mises à couler...
Non pas parce que je me souvenais de l'état dans lequel j'étais et nous étions après avoir tous lutté contre ce maudit cancer, mais parce qu'à l'instant présent, de la lecture, les mots, les phrases, mon écriture en somme, m'a touchée, et par l'intermédiaire des mots que j'avais écrit, j'ai pu retourner à ces années-là et ressentir, me souvenir de ce que ça signifiait "guérir", et par la même occasion, j'ai pu apprécier le rôle de médiateur qu'a l'écriture, lorsqu'elle est vraie.
Je ne m'étends pas plus et vous laisse avec les photographies (et la retranscription, pour meilleure lecture) de ces lettres, images que j'ai capturées avant de repartir chez moi, convaincue que j'allais vous raconter cette histoire, avec l'accord de maman, bien évidemment !