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Amazon, Monoprix, Décathlon et les autres : comment les entrepôts remodèlent la France

C'est une lame de fond. Portés par le boom de l'e-commerce, les entrepôts poussent comme des champignons, redessinant une France désertée par les usines. Malgré la nouvelle vie qu'ils insufflent à l'économie et l'emploi local, ces nouvelles cathédrales de la consommation ne sont pas toujours du goût de la population. Récit d'une transformation qui fait des vagues.

L'entrepôt Monoprix à Moissy-Cramayel : 100.000 mètres carrés qui visent la neutralité carbone.
L'entrepôt Monoprix à Moissy-Cramayel : 100.000 mètres carrés qui visent la neutralité carbone. (Simone Perolari pour Les Echos Week-End)

Par Laura Berny

Publié le 9 févr. 2022 à 07:01Mis à jour le 11 févr. 2022 à 16:56

En ce début décembre un peu frisquet, ils sont nombreux, déjà vêtus de leurs gilets orange, à s'engouffrer dans l'énorme bâtiment, ceint de l'emblématique logo d'Amazon. Ils sont tout autant à en sortir, toujours affublés de la même veste de travail, certains s'attardant pour discuter ou fumer une cigarette, avant de s'éparpiller seuls ou par petits groupes sur le parking pour prendre qui sa voiture, qui son deux-roues ou la navette métropolitaine pour rentrer déjeuner. En une demi-heure, le changement d'équipes de la mi-journée est terminé, tout redevient tranquille aux abords de cet immense vaisseau gris planté au milieu de nulle part…

Nous sommes à Augny, à moins d'un quart d'heure en voiture de Metz, la préfecture de la Moselle. Sur cette ancienne base aérienne militaire, a été construit l'an dernier le plus grand entrepôt de France - à ce jour - en surface déployée : un monstre de 182.000 m² battant celui de Conforama à Tournan-en-Brie (177 500 m²) ! Loin encore du plus vaste du monde, celui de Boeing à Everett, dont la jauge atteint près 400.000 m², mais tout de même ! Ultramoderne, cet « immeuble logistique » de quatre niveaux s'élève à plus de 40 mètres de hauteur. « Ce type de construction verticale reste encore assez rare en France, même s'il a l'avantage de réduire l'emprise au sol et donc l'artificialisation », souligne Jean-Claude Le Lan, le président-fondateur de la foncière Argan, propriétaire des lieux et leader de l'immobilier logistique en France, avec un patrimoine de plus de 3,3 millions de m².

Fin novembre, à quelques semaines des fêtes de fin d'année, le dernier-né des grands entrepôts d'Amazon tourne à plein régime. « Nous avons recruté plus de 500 CDI depuis l'ouverture l'été dernier, et nos effectifs doublent en haute saison », explique Kamel Abdelli, le responsable des ressources humaines de ce site qui prévoit d'employer près de 1.000 personnes en CDI d'ici deux ans. Aux étages supérieurs, les fameux robots Kiva (3 000 au total) soulèvent sans discontinuer les étagères de 2 mètres de haut (53 000), les « pods », contenant au total près de 30 millions d'articles, pour les diriger vers les préparateurs de commandes.

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« Cette organisation automatisée où la marchandise vient au préparateur et non l'inverse nous permet de stocker 40 % d'inventaire en plus qu'un site traditionnel, indique Angeline Bilodeau, la directrice générale de l'entrepôt. Chaque jour, ce sont plusieurs centaines de milliers d'objets non alimentaires, des couches culottes aux micro-ondes, qui sont collectés et expédiés vers les centres de tri et stations de livraison du Grand Est, et même jusqu'au Luxembourg », décrit cette ingénieure québécoise.

La révolution du commerce

Avec 33 entrepôts sur le territoire, dont 8 grands centres de distribution et 25 centres de tri et stations de livraison, Amazon apparaît comme la figure de proue d'une mutation bien plus large. Depuis quelques dizaines d'années, les centres de stockage de plus en plus immenses ont poussé comme des champignons dans l'Hexagone : on en comptait ainsi 4.432 de plus de 5.000 m² en 2015 couvrant 78 millions de m², selon les chiffres de l'Atlas des entrepôts et des aires logistiques. Des chiffres en constante augmentation.

À la manière de la grande distribution à partir des années 1960, ces nouvelles cathédrales des temps modernes contribuent à remodeler le territoire . « À l'instar de l'implantation des sites et activités industrielles traditionnelles qui avaient structuré la géographie économique et humaine au XIXe et XXe siècles, le secteur de la logistique marque de manière de plus en plus prégnante son empreinte sur le paysage », constatent Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely dans leur livre La France sous nos yeux,radiographie saisissante de l'Hexagone d'après les Trente Glorieuses.

L'entrepôt Amazon à Augny est les plus grand en France à ce jour : 182.000m2 de surface déployée sur quatre étages. Ici, le rez-de-chaussée où arrivent les commandes, préparées aux étages supérieurs, qui vont être empaquetées, étiquetées et expédiées.

L'entrepôt Amazon à Augny est les plus grand en France à ce jour : 182.000m2 de surface déployée sur quatre étages. Ici, le rez-de-chaussée où arrivent les commandes, préparées aux étages supérieurs, qui vont être empaquetées, étiquetées et expédiées.Simone Perolari pour Les Echos Week-End

« Dans un pays désindustrialisé, les entrepôts sont en quelque sorte les nouvelles usines », confirme Anne-Marie Idrac, ancienne secrétaire d'Etat et présidente de la RATP et de la SNCF, aujourd'hui à la tête de France Logistique. « Au sein du monde ouvrier, les logisticiens représentent désormais 13 % des emplois, contre seulement 8 % dans les années 1980, un basculement observable dans la plupart des pays occidentaux », note une étude de la revue Travail et Emploi d'octobre dernier. Et Internet n'a fait qu'accélérer cette métamorphose.

Logisticien, un métier d'avenir

La logistique crée beaucoup d'emplois, très variés et de plus en plus qualifiés avec l'automatisation grandissante. A côté des métiers traditionnels de manutentionnaires et de préparateurs de commandes, il y a notamment de plus en plus d'ingénieurs, de datascientists, de spécialistes de la maintenance, du design et de la gestion de l'environnement. Au total, le secteur de la logistique emploie aujourd'hui 1,8 million de personnes en France et fait partie des secteurs en tension en termes d'emplois, notamment dans le transport. Le secteur de l'entreposage stricto sensu comptait 125.000 salariés en 2019 (chiffres clés du transport 2021), contre 93.000 dix ans plus tôt. Le salaire brut mensuel dans le secteur s'élevait à 2.430 euros en 2019.

« L'e-commerce représente la troisième révolution du commerce, après celle des grands magasins à la fin du XIXe et celle des hypermarchés à partir des années soixante », estime Jérôme Libeskind, expert en logistique et fondateur de Logicités. Pour Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely, « le déploiement rapide d'une entreprise comme Amazon sur notre sol et les modalités de son implantation constituent des symptômes très parlants de cette entrée dans la France nouvelle ».

Déséquilibre

La carte des entrepôts est à elle seule révélatrice des nouvelles fractures territoriales à l'oeuvre. La colonne vertébrale logistique du pays court de Lille à Marseille, avec des plates-formes situées historiquement près des plus grands axes autoroutiers et bassins démographiques. Les Hauts de France, champion français de la logistique, Rhône-Alpes et l'Île-de-France fourmillent ainsi de surfaces de toutes tailles et de tous types. « À Moissy-Cramayel, nous accueillons des entrepôts depuis les années 1970, témoigne Line Magne, maire de cette commune de 18.000 habitants de Seine-et-Marne. Aujourd'hui, nous avons deux parcs d'activités qui accueillent des dizaines d'exploitants comme Cdiscount, Monoprix, ou Action. »

À l'ouest de cette ligne verticale, en revanche, c'est le désert ou presque. « Il y a un problème de maillage du territoire en France avec des régions où les grands entrepôts sont trop éloignés des zones de livraison, ce n'est ni efficace ni écolo », regrette Anne-Marie Idrac. Sur les huit centres de distribution d'Amazon dans l'Hexagone, aucun n'est d'ailleurs installé sur la façade Atlantique. C'est celui d'Orléans qui dessert toute cette région. « Nous souhaitons à terme en installer un à l'ouest pour être au plus près de nos clients, les livrer le plus rapidement et en polluant le moins possible, déclare David Lewkowitz, qui vient de remplacer Ronan Bolé à la présidence d'Amazon France Logistique. Mais rien n'est prévu pour l'heure. »

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Chiffres tirés de l'Atlas des entrepôts et des aires logistiques en France en 2015.

Chiffres tirés de l'Atlas des entrepôts et des aires logistiques en France en 2015.

L'emballement de l'e-commerce pendant la pandémie va à l'évidence amplifier la tendance . C'est l'avis de Cécile Tricault, directrice générale Europe du Sud chez Prologis, leader mondial de la logistique. « En deux ans, le Covid et les confinements ont accéléré de quatre ou cinq ans l'essor du commerce par Internet. Or cette activité nécessite trois fois plus d'espace logistique que le commerce traditionnel à cause de la préparation des commandes et de la gestion des retours. »

La fin du flux tendu

Totalement disruptives, les ruptures d'approvisionnement ont aussi bousculé la manière de gérer les stocks. « Sur les dix dernières années, la tendance était aux flux très tendus. Désormais, les exploitants veulent une semaine de stocks plutôt que 48 heures », détaille-t-elle. Autre facteur de tension, certains sites de production installés à l'étranger pourraient être relocalisés dans l'Hexagone afin de sécuriser les approvisionnements. Autant de raisons qui vont provoquer une forte croissance des besoins de stockage. « D'autant que la France est plutôt en retard par rapport à d'autres pays européens », ajoute Cécile Tricault. Signe qui ne trompe pas, la logistique est de plus en plus souvent intégrée dans les schémas d'urbanisme locaux.

Les perspectives sont donc mirifiques et, en toute logique, la France devrait se couvrir encore plus d'entrepôts. Du moins sur le papier. Car dans la réalité, les choses ont pris un tournure un peu différente. « Alors que le marché de l'immobilier de bureau connaît un rebond, celui de la logistique atteint déjà des niveaux records avec 258 transactions enregistrées l'an denier dont 13 de plus de 50 000 m²», détaille François-Régis de Causans, directeur investissements industriel et logistique chez CBRE France.

Dans un secteur naguère dédaigné des investisseurs, la demande surpasse désormais l'offre et les prix s'envolent. «Début 2021; nous parlions de pénurie d'offre en PACA et Rhône-Alpes, elle gagne désormais l'Ile de France et d'autres marchés régionaux à l'instar de Bordeaux et Nantes», constate Pierre-Louis Dumont. « Particulièrement recherchées car elles permettent de ne pas artificialiser des sols supplémentaires, les friches industrielles se vendent à prix d'or. L'an dernier, nous étions sur un appel d'offres concernant un terrain de 24 hectares en région parisienne. Il est parti à 300 euros du m², contre 60 à 80 euros avant la crise, on n'avait jamais vu ça », raconte Jean-Claude Le Lan, qui a fondé Argan il y a plus de vingt ans. Et ce phénomène devrait durer.

Construction : en blanc ou en gris ?

A l'exception d'Intermarché, Système U, Leclerc ou Lidl, les propriétaires des plates-formes logistiques sont en général des spécialistes de l'immobilier (foncières, fonds, promoteurs). Ils peuvent intervenir au nom d'un exploitant avec qui un contrat de location (voire de vente) est déjà signé avec des conditions suspensives (obtention des permis de construire et d'exploiter) : c'est la construction dite grise. Quand ils acquièrent un emplacement sans avoir un client prédéterminé, on dit en revanche qu'ils développent en blanc. En réalité, les acquéreurs peuvent être en contact avec des exploitants potentiels qui ne souhaitent pas se dévoiler tant que le permis de construire n'est pas délivré. Certains élus et associations reprochent notamment à Amazon d'avancer ainsi de manière masquée. « L'implantation d'un projet logistique est un processus long et complexe, certains aboutissent, d'autres non… C'est pourquoi nous ne communiquons pas avant l'obtention du permis même si souvent des fuites ont lieu », rétorque David Lewkowitz, président d'Amazon France Logistique, en charge des centres de distribution.

Outre la hausse des prix du foncier, l'essor de la logistique se heurte à plusieurs autres obstacles. « La superposition des démarches administratives (permis de construire, d'exploiter, normes environnementales, de sécurité, sites classés, etc.) rend le process d'autorisation des nouveaux entrepôts particulièrement incertain et long », fait valoir Anne-Marie Idrac. « Ces cinq dernières années, le nombre de règles à respecter a énormément augmenté, s'inquiète N'Dogbia Yombo, directeur des programmes de la foncière Argan. Rien qu'un dossier environnemental représente 400 pages de chiffres, mesures et relevés divers, de plans d'actions. Malgré cela, c'est parfois difficile de démontrer l'intérêt public d'un projet logistique comparé par exemple à celui d'un hôpital ! »

Le résultat peut être décourageant pour les promoteurs et les loueurs. « In fine, on met en moyenne douze à dix-huit mois en France pour lancer la construction d'un bâtiment contre quatre à six ailleurs en Europe, et encore quand il n'y a pas de recours », rappelle Pierre-Louis Dumont, directeur Agence industriel & logistique chez CBRE. Un maire ou un préfet peuvent refuser de délivrer un permis, des associations ou des particuliers déposer des recours. « Neuf projets sur dix sont attaqués en justice en France, précise-t-il. Quand on travaille ici, on est habitués à ce système et on le prend en compte dans nos délais. Mais quand on est, comme actuellement, dans un moment d'accélération du marché qui n'avait pas été prévue, on prend beaucoup de retard et c'est dommage. »

Dilemme français

Ces derniers mois, plusieurs grands projets à plus de 100.000 m² ont même été abandonnés : un entrepôt Lidl à Saint-Etienne, deux destinés à Amazon au sud de Nantes et à Fournès dans le Gard ... « Les Français font face à un dilemme : ils veulent des livraisons rapides, donc à proximité, mais ils ne veulent pas des entrepôts », commente François-Régis de Causans. En tête de leurs craintes : les nuisances liées au trafic des camions, l'artificialisation des sols (quand les entrepôts ne sont pas construits sur des friches) et l'impact sur la biodiversité. « On n'est pas là pour dénaturer les paysages, veut rassurer Cécile Tricault. Tout l'enjeu lors de l'implantation d'un nouvel entrepôt est de parvenir à un équilibre entre contraintes administratives, environnementales et opportunités économiques. » Mais les résistances sont aussi d'ordre plus socioculturel.

Alors qu'il représente 2 % du commerce mais 20 % de l'e-commerce de l'Hexagone, le seul nom d'Amazon fait office de chiffon rouge pour beaucoup d'élus et d'associations locales. Sa mauvaise réputation d'ogre américain traitant mal ses employés le dessert. « Nos employés sont payés un peu au-dessus du Smic à l'embauche (10,88 euros de l'heure), bénéficient du 13e mois et de la participation sous la forme d'une action Amazon gratuite chaque année [plus de 3.000 dollars, NDLR] », répète pourtant à l'envi David Lewkowitz.

Opérationnel sept jours sur 7, 24 heures sur 24, l'entrepôt Amazon d'Augny ne s'arrête jamais ou presque. Au rez-de-chaussée, un QG bardé d'ordinateurs et de circuits lumineux surveille les flux des marchandises. Dès qu'un blocage est détecté, un «problem solver» est envoyé pour éviter de perdre trop de temps.

Opérationnel sept jours sur 7, 24 heures sur 24, l'entrepôt Amazon d'Augny ne s'arrête jamais ou presque. Au rez-de-chaussée, un QG bardé d'ordinateurs et de circuits lumineux surveille les flux des marchandises. Dès qu'un blocage est détecté, un «problem solver» est envoyé pour éviter de perdre trop de temps.DR

Et de rappeler que la firme de Jeff Bezos a embauché un record de 4.000 personnes en CDI en France rien qu'en 2021 sur un total de 15.500 CDI. Le groupe s'efforce aussi d'employer d'anciens chômeurs longue durée. « À Augny, ces derniers représentent près de 50 % des recrutés à côté de 15 % de moins de 26 ans, 15 % de séniors (50 ans et plus) et 7 % de personnes en situation de handicap », égrène le responsable RH du site. Façon de dire qu'aujourd'hui le retour au plein-emploi passe par là.

Menace sur les petits commerces ?

Autre critique récurrente à son encontre, le géant de la vente en ligne tuerait les petits commerces de centre-ville. C'est d'ailleurs le premier grief soulevé par les opposants au dernier projet XXL attribué à Amazon : un entrepôt de 160.000 m² à Colombier-Saugnieu, près de l'aéroport de Lyon-Saint-Exupéry, mené par Goodman France. Même le maire de Lyon, l'écologiste Grégory Doucet, s'est joint aux recours de plusieurs associations locales : « Il a été établi qu'un emploi créé par Amazon, ce sont 4,5 emplois détruits par ailleurs. Soutenir le commerce de proximité passe par le refus de l'installation d'entrepôts Amazon », déclare celui qui veut faire un « exemple » en faveur de l'économie de proximité.

Encore un faux combat pour Amazon : « Pendant la crise sanitaire, les entreprises qui se sont digitalisées ont vu leur chiffre d'affaires et leurs zones de chalandises progresser, répondait Ronan Bolé, l'ancien président d'Amazon France Logistique au dernier Salon des maires, où le groupe américain avait installé un stand pour la première fois. D'ailleurs, ajoutait-il, « six articles sur dix vendus via Amazon sont livrés par des commerçants utilisant sa place de marché ».

Six articles sur dix vendus via Amazon sont livrés par des commerçants utilisant sa place de marché.

Six articles sur dix vendus via Amazon sont livrés par des commerçants utilisant sa place de marché.Simone Perolari pour Les Echos Week-End

Ces rejets pourraient-ils in fine limiter l'implantation d'entrepôts XXL en France ? Certains craignent de se retrouver « sans les emplois mais avec les camions venant de plus loin »… Le géant de Seattle temporise : « Les résistances ne sont pas spécifiques à la France, même si certains groupes tendent à se servir d'Amazon pour défendre des points de vue plus politiques qu'écologiques ou économiques, considère David Lewkowitz. Dans les territoires où nous sommes installés, nous travaillons en concertation avec les associations et les élus pour que tout se passe bien et les retours que nous avons sont positifs. »

François Henrion, le maire d'Augny, en témoigne. « Nous avons perdu 2.500 emplois quand la base aérienne de Frescaty a mis la clé sous porte en 2012. Deux classes ont fermé et de nombreux logements sont restés vacants, se souvient-il. Alors quand le projet d'Amazon a émergé en 2018, on était bien content de les accueillir. Au final, même les petits commerçants sont plutôt satisfaits avec la hausse du passage sans compter que la métropole reçoit 2,5 millions d'euros de taxe annuelle dans son escarcelle. Le principal hic aujourd'hui, c'est le stationnement des poids lourds qui attendent leurs chargements au bord de la route. De nouveaux parkings devraient être créés. »

Des bâtiments plus écoresponsables

Consciente des résistances et en mal de terrains, la filière française de la logistique cherche à améliorer son image d'activité polluante et peu qualifiée. « Avec la charte signée l'été dernier à notre initiative , les acteurs se sont engagés à construire de manière encore plus écoresponsable, à développer le recyclage, les énergies renouvelables, la récupération des eaux de pluie, à protéger la biodiversité et limiter l'artificialisation des sols », précise Anne-Marie Idrac. Réciproquement, l'exécutif a promis des friches industrielles clés en main et une simplification des process administratifs pour réduire les délais. Non signataire de cette charte, Amazon s'est engagé en 2019, dans son propre « Climate Pledge », à utiliser 100 % d'énergie renouvelable dans ses activités d'ici 2025, supprimer autant que possible les plastiques des colis, consolider les commandes au maximum pour limiter les transports inutiles et atteindre zéro émission carbone dès 2040.

Friches et artificialisation des sols

Avec la charte signée l'an dernier, les procédures devaient être un peu simplifiées entre la demande de permis d'aménager, le permis de construire et l'autorisation d'exploiter et les différentes études environnementales demandées (sécurité faune et flore, zones humides, etc.)… Mais un sujet reste délicat, celui de l'artificialisation des sols. La loi climat a divisé par deux le rythme d'artificialisation des sols sur les dix prochaines années. La logistique n'occuperait guère plus de 1 % des sols du pays, contre 50 % pour les logements mais les associations et le ministère de l'Environnement veillent au grain. D'où la tendance de plus en plus nette à rechercher des friches plutôt que des champs pour construire de nouveaux entrepôts.

La neutralité carbone, c'est déjà l'objectif du nouvel entrepôt Monoprix de 100.000 m² à Moissy-Cramayel, propriété de Prologis. Livré l'an denier, ce bâtiment, aux couleurs gris et bleu qui se fondent dans le ciel parisien, a été construit sur un ancien site de PSA, et comprend un emplacement de stockage traditionnel pour les magasins avec chariots élévateurs et une zone de préparation de commandes automatisée pour les ventes en ligne. « Avant sa construction, nous avons réalisé une étude qui nous a permis d'établir que, sur une durée de cinquante ans, construction et déconstruction comprises, le bâtiment allait a priori émettre 150.000 tonnes de CO2 », décrit Olivier Barge, vice-président de Prologis Europe du Sud.

Du coup Prologis a recouru à des matériaux biosourcés, comme la charpente en bois, et à un éclairage par LED avec intensité variable et détection de présence, posé des panneaux photovoltaïques sur le toit, des isolants, et créé un système de chauffage par géothermie pour capter la chaleur en été et la restituer en hiver au moyen d'une centaine de sondes plongeant à 100 mètres de profondeur. « Résultat : nous avons réduit de 80 % l'empreinte carbone et la consommation d'énergie de ce bâtiment », assure le responsable.

Les entrepôts du futur

Destiné au stockage de produits pharmaceutiques, le tout nouvel entrepôt de 12.000 m² d'Argan à Serris (Seine-et-Marne), le long de l'A4, se veut lui aussi écofriendly : nécessitant une température égale toute l'année, il est doté d'un système de stockage de l'énergie photovoltaïque en batteries (emmagasinée pendant la journée, l'électricité est restituée la nuit) et de pompes à chaleur assurant le chauffage en hiver et le rafraîchissement en été. Son autonomie énergétique totale dépasse les 50 % et son bilan carbone sera neutre. Associée à la mise en place d'équipements d'éclairage et de chauffage à haut rendement, cette installation permettra de réduire de 15 tonnes les émissions annuelles de CO2 sur l'ensemble du bâtiment, se félicite Jean-Claude Le Lan, selon qui « le surcoût de 15 % lié à une telle installation sera récupéré avec les économies d'énergies réalisées ».

Sans devenir des oeuvres d'art serties dans un écrin de verdure - ces bâtiments restent quand même de grandes boîtes guère esthétiques -, « l'entrepôt du futur sera de plus en plus haut de gamme, inséré éventuellement dans un campus mixte à l'instar du Cosmetic Park (Dior et L'Oréal) près d'Orléans, qui compte aussi une crèche, un hôtel, un restaurant d'entreprise et un terrain de sport », veut croire Thierry Griveaux, chef d'agence chez A26, cabinet d'architecture spécialisé dans les bâtiments logistiques qui a réalisé entre autres l'entrepôt d'Argan/Monoprix à Moissy-Cramayel.

La révolution des transports

Serres, ruches, club de gym, bureaux et commerces… : la mixité des usages a le vent en poupe comme l'hôtel logistique la Chapelle International de la Sogaris à Paris, hub routier et ferroviaire. Le futur Green Dock à Gennevilliers le long de la Seine, porté par Goodman et Haropa Port, s'annonce lui comme un modèle de hub routier et fluvial. « Sur quatre niveaux séparés et accessibles aux camions via une rampe, cet entrepôt de plus de 80.000 m² aura un ponton de transbordement fluvial pour que les poids lourds puissent être chargés sur des barges et remonter la Seine », stipule l'architecte. Le toit sera occupé par une ferme urbaine et des panneaux photovoltaïques, bien sûr. Sa livraison est prévue fin 2024, début 2025.

Limiter la pollution liée au trafic routier fait évidemment partie des enjeux principaux de la logistique de demain. « Le maillon le plus coûteux est le transport : 1 kilomètre égal 1 euro par camion», rappelle Jean-Claude Le Lan. A l'avenir, le fluvial est une solution, les énergies renouvelables en sont une autre. « Nous avons commencé à tester des camions à hydrogène et au biogaz, tout en développant le transport par voie ferrée pour réduire les émissions liées aux déplacements routiers », mentionne David Lewkowitz. Pour remplacer les flottes de véhicules thermiques en Europe, Amazon a passé une mégacommande de plus de 1.000 poids lourds roulant au gaz naturel comprimé à Iveco. Et des tests sont réalisés pour l'utilisation de camions à hydrogène…

Quant aux livraisons aux particuliers dans les centres urbains, la révolution est déjà en route. Ainsi, à Paris ou à Annecy, Amazon livre deux tiers de ses colis avec des véhicules électriques, en vélo cargo ou à pied. A défaut des drones... Pour faciliter la fameuse livraison du dernier kilomètre, les distributeurs cherchent à se rapprocher au maximum des centres urbains pour limiter les coûts et les temps de transports. La créativité est de rigueur. Ainsi Amazon utilise-t-il depuis l'an dernier trois dépôts de bus parisiens de la RATP en journée pour stocker les marchandises à livrer. « Cette co-utilisation de locaux devrait être généralisée à d'autres villes à terme », ajoute David Lewkowitz qui explore aussi d'autres systèmes…

Corollaire de notre société de consommation, le besoin d'entrepôts est loin d'être assouvi. Mais pour certaines portions de territoires, la congestion menace. « Si ma ville n'est pas pauvre aujourd'hui, c'est grâce à la logistique. Mais les entrepôts drainent une main-d'oeuvre encore peu qualifiée et la population devient de plus en plus attentive à la mixité sociale. C'est la raison pour laquelle j'ai décidé de me tourner à l'avenir vers d'autres secteurs et de ne plus construire de nouveaux entrepôts », déclare franchement la maire de Moissy-Cramayel. À d'autres communes, donc, de prendre le relais. Faute de quoi des revenus et des emplois pourraient bien se tourner vers des terres plus hospitalières en Espagne, Italie, Belgique ou en Allemagne…

Le chinois Alibaba installe son hub européen en Belgique

Non sans l'opposition d'un collectif « Stop Alibaba » qui craint une augmentation exponentielle du trafic routier et aérien, Cainiao a inauguré en novembre dernier à Liège un premier entrepôt tout automatisé de 33.000 m² employant 200 personnes. La filiale logistique du géant chinois a choisi l'aéroport wallon comme troisième plate-forme multimodale mondiale (après Kuala Lumpur et Hong Kong) et tête de pont pour l'import et l'export de marchandises entre la Chine et l'Europe. D'ici 2025, ce sont 120.000 m² de surfaces de stockage qui seront déployées et 900 emplois directs proposés. Une soixantaine de camions arrivent et partent déjà chaque jour du « e-hub » vers la France, l'Espagne, les Pays-Bas ou l'Italie.

Aux origines de la logistique, le maréchal des logis

Avant d'être utilisé à partir de 1960 pour aborder la gestion des flux physiques des entreprises, le terme de logistique a d'abord été un terme militaire. La fonction remonterait à 1591 quand Henri IV crée une « charge » de maréchal des logis des camps et armées du roi pour organiser les logements et les déplacements d'une armée devenue très importante. Bien qu'il ne dispose d'aucun pouvoir hiérarchique sur les soldats, sa proximité quotidienne avec le commandant en a fait l'un des maréchaux clefs, jusqu'à ce qu'on parle même de « troisième homme » de l'armée. Le terme disparaît à la Révolution française avec l'abolition des charges vénales. Peu à peu, le maréchal général des logis va être remplacé par l'état-major…

Laura Berny

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