LYXIS 

https://helenebonismontoyat.wixsite.com/psy7

Penser pour panser les liens

lettre #avril 2022 - le jeu des possibles <img height="22" src="https://static.wixstatic.com/media/5e9922_6047ac2b0fe24f88bcf6fa54fdde792e.png_256" width="22"> 

Passion. C'est dit, c'est écrit. Tout naturellement, le mot m'est venu pour décrire cet embrasement permanent, en chaud ou en froid.

Qui se moque de la mesure, de la décence, des habitudes. Un sentiment assez puissant pour décider d'un nouvel ordre de nos existences.  

Gisèle Halimi in Histoire d'une passion.

 

 

Le chagrin enkysté

 

"J’ai été frappée par mon animalité durant l’accouchement et celle de mon bébé dans ses premiers instants. Nous sommes des animaux, mais avons peu de moment dans nos vies de tous les jours pour nous le rappeler. En écrivant ce texte j’ai même naturellement élargit mon animalité au monde vivant en général. Mes bras deviennent rivières et mon ventre une montagne. " Oriane Lacaille

 

Ce texte de cette jeune artiste Oriane Lacaille m'a ramenée à la rivière de larmes contenue dans un corps refermé sur lui-même, dans un chagrin, enkysté depuis plus de dix ans.

L'anamnèse de cette patiente, toute de noir vétue, ne démontre aucune altération de lien précoce. Celle que je nomme Pétra  - en hommage à la cité située entre la mer Rouge et la mer Morte, est taillée dans le roc. Une jeune femme forte mais isolée d'elle même. Elle est peu à l'aise d'être là, de parler d'elle, de dire ce qui ne va pas : depuis décembre, elle vit des crises de panique, avec nausées, sensation d'étranglement, impossibilité de conduire, insomnies et sudations. Elle s’inquiète aussi à propos des conséquences possibles : peur de se rendre à son travail, de perdre son travail, désinvestissement auprès de ses enfants. Elle craint de perdre la raison ou le contrôle d'elle-même. 

 

Peu à peu, des éléments non linéaires dans cette vie qu'elle me présente comme "sans accroc" apparaissent : dix années plus tôt, au printemps, elle se réjouissait, avec son conjoint, d'être enceinte. Lors de sa première échographie, le gynécologue a dit : "C'est terminé. Y'a plus rien à voir." Choisissez évacuation ou aspiration." Deux mots terriblement dénués de sens, alors qu'elle venait, avec candeur, faire connaissance avec ce début de vie.

 

Dix années plus tard, un travail de remémoration corporel a permis à Pétra de se souvenir en détail de tout ce qu'elle avait vécu chez ce gynécologue : incompréhension, colère, tristesse, déception, culpabilité, sentiments d'injustice et de vide. Voilà le flot d'émotions qu'elle a pu déverser. 

Pétra et son conjoint ont été bouleversés par une mort in utero.

Bowlby dans Attachement et perte (1984) suggère d’attendre un an avant de concevoir un autre enfant mais, à la suite d’une perte périnatale, les taux de conception augmentent en raison d’une sorte de compulsion à remplacer l’enfant (Vogel et Knox, 1975 ; Park et al., 1979). 

Dans ce cas précis, un autre enfant a été conçu peu de temps après, avec un déni de grossesse - devinée par le père au cinquième mois -.
L'enfant vagissant a reçu en prénom, le même que ce fœtus mort dans l'œuf. 

Puis, enfin en décembre dernier, a été dépliée la peur de Pétra - et son impuissance alors qu'elle ne pouvait pas quitter son travail,- de savoir son fils testé et potentiellement vacciné contre le Covid, à l'école. 

L'inquiétude pour ce deuxième enfant, (qui n'était pas attendu, grossesse avec stérilet), a pu permettre un travail psychique réparateur avec demande d'aide.

 

La grossesse est une double métamorphose progressive et interactive du devenir parent et du devenir humain ; le fœtus ne naît pas humain, il le devient durant la grossesse.
Cependant, pour cette jeune future mère "le bébé" était déjà investi. Tout allait bien, Pétra avait des rêves, des projets, elle imaginait l'avenir avec cet enfant et, soudainement, elle a vécu la destruction de son monde intérieur.

La nidification maternelle (Cresbon et Missonnier, 2011) qui imbrique des enjeux de filiation, des fantasmes archaïques, des désirs inconscients, des pulsions, des conflits psychiques, accompagne la grossesse physiologique, voire même la sous-tend.

 

Sous le choc de la funeste nouvelle chez le gynécologue, Pétra a opté pour l'évacuation médicamenteuse, et pendant plusieurs jours, elle s'est tordue de douleur, pétrifiée.

Sauf que si l'évacuation a été très éprouvante, le chagrin de la perte lui n'est pas parti. Il est resté intact, enkysté. 

Il n'empêche que la perte de l'embryon, un « objet non-objet » « mi-moi, mi-autre » situé dans un entre-deux d’investissement narcissique et d’investissement objectal, a été très traumatisante pour elle. C'est l'origine d'une souffrance que de nombreuses femmes, lors d'une fausse couche, assument dans le silence et la solitude - si ce n'est dans le désarroi le plus profond.

Pétra s'est sentie coupable, incapable, seule, honteuse.

Pour des facteurs expliqués par le père, les premières étapes de leur deuil ont été prématurément interrompues (divorce de ses parents à lui, projections haineuses de la belle-mère sur sa belle-fille, etc.). Et le deuil nécessite la reconnaissance de la perte de l’enfant. L'attitude du médecin et de la famille ne l'a pas permis. 


Le processus de deuil a continué pendant ces dix années avec l’enfant de remplacement agissant comme le vecteur du deuil parental et le deuxième enfant dont la date de naissance coïncide avec celle de la mort fœtale in utéro.
 

D’un point de vue thérapeutique, je suis allée soutenir la levée du refoulement mais aussi installer un espace spécifique pour que le chagrin puisse se dire. J'ai demandé à Pétra que son conjoint vienne avec elle, au cabinet. Il a appris, lors de sa venue, que sa compagne savait qu'il conservait dans une petite boîte, la photographie de cette première échographie ainsi qu'une brassière et un biberon. 

Il est connu que l'homme, futur père, a tendance à protéger sa femme, future mère, sans exprimer ses propres craintes de peur d’augmenter l’anxiété de sa conjointe. C'est ce qui s'est passé. Dans l'espace thérapeutique, cette femme et cet homme ont arpenté la spirale des non-dits si préjudiciables dans la construction des liens familiaux.

Bien entendu, le prénom de l'enfant qui a succédé à la fausse-couche ne permettait pas de faire le deuil, au sens total de ce terme. Comment faire deuil d'un prénom qui a été ensuite reporté sur le deuxième enfant ?

J'ai alors interrogé la forme symbolique de ce qui pourrait représenter pour eux le passé, le présent et le futur. C'est l'arbre qui est venu dans leur choix. Ils ont décidé de dessiner, avec leurs enfants, un arbre où serait représenté "l'absent-le non-né". Et ensuite de planter un arbre en souvenir de cet embryon (noyau) qui ne sera jamais avec eux mais qui en même temps poussera parmi eux. Ils reconnaissent ensemble la perte et mesurent leurs forces.

Et j'ai appris qu'ils avaient déjà offerts aux parents de Pétra, à la naissance de leurs deux enfants, un arbre fruitier. Celui qui donne des noyaux pour le futur.

 

La mort fœtale in utéro est un accident très fréquent de la grossesse qui reste tabou. C'est un événement traumatisant qui, bien souvent, laisse aux femmes un sentiment de culpabilité injustifié. Si les femmes peuvent porter une certaine culpabilité à la suite d’un tel événement, elles n’en sont, il faut le dire haut et fort, nullement responsables.

 

Une pétition circule (voir ci-dessous).

Dans le monde entier, on peut compter 23 millions de fausses couches tous les ans, soit une toutes les 44 minutes. En France, chaque année, on dénombre plus de        200 000 fausses couches, soit prêt de 15% des grossesses. La prise en charge de ce moment si difficile où la femme apprend la perte du fœtus voire de l'enfant peut se rapporter à un traumatisme. D'où l'importance de comprendre ce moment de deuil.

 

 
J'tai pas entendu de Linda Lemay
 

Ossip Zadkine La Prisonnière, 1943

Larmes et chaos

 

Tout près de la cité de Stymphale, en Arcadie, croupissait un marais. " Rien n'est plus troublant, plus inquiétant, plus effrayant parfois qu'un marécage. Pourquoi cette peur qui plane sur ces plaines basses couvertes d'eau ? Sont-ce les vagues rumeurs des roseaux, les étranges feux follets, le silence profond qui les enveloppe dans les nuits calmes, ou bien les brumes bizarres qui traînent sur les joncs comme des robes de mortes ou bien encore l'imperceptible clapotement, si léger, si doux, plus terrifiant que le canon des hommes ou le tonnerre du ciel, qui fait ressembler les marais à un pays de rêve, à des pays redoutables cachant un secret inconnaissable et dangereux ? " décrivait Guy de Maupassant dans Le Horla.

 

Dans le nord du Péloponnèse, le dieu Arès dressent des oiseaux de proie, les Stymphalides. Ce sont des oiseaux carnassiers qui, dès le plus jeune âge, se nourrissent de viande crue dépouillée des nerfs et des tendons. Ils vivent au bord de ces marécages, dans des forêts profondes, impénétrables.  

Ces créatures monstrueuses sont de terribles gardiens, ( mécanismes défensifs) qui veillent sur les zones infernales où gisent nos pulsions, comme des créatures maléfiques.

Ces oiseaux se reproduisent auprès du fleuve du même nom, s'envolant par bandes pour attaquer la chair des hommes et des animaux en leur lançant une grêle de plumes de bronze, (projections) puis ils utilisent leur bec d'airain pour déchiqueter les proies. 

 

Qualifié également de dieu des armes,  les pulsions de violence qui décrivent Arès sont indéniables: « insatiable de guerre, assaillant de remparts, destructeur de cités, pourfendeur de boucliers, meurtrier, buveur de sang, porteur de dépouilles, fléau des hommes. "

"Porter les armes", "mettre des armes", "tenir les armes", "prendre les armes" a été de tous temps réservé aux dieux, héros, chevaliers.

 

Les Grecs anciens voyait également dans Arès, le dieu des larmes. Je m'’interroge sur les systèmes de valeurs et de signification de ces larmes liées étroitement à celui également considéré comme le dieu des armes.

 

Il faut savoir qu'Arès avait une sœur jumelle, Eris. Elle donnait naissance aux pires calamités qui amènent des larmes. Les larmes expriment d’une certaine manière l’indicible, et à ce titre elles sont une forme de parole. En psychologie, les larmes permettent la libération de la souffrance, même si elles ne suffisent pas toujours à l’évacuer complètement.

Peut-être pouvons-nous considérer Eris comme une opportunité qui se présente dans le conflit groupal, et qui ouvre aux énergies individuelles ?

En effet, chaque être qui subit, est concerné, impliqué, et doit finir par se battre pour défendre sa terre, ses biens, ses droits,…

 

Arès s'entourait de "frères d'armes" : accompagné donc de sa sœur jumelle Eris (la Discorde), de ses fils Déimos et Phobos (la Terreur), ainsi que d'Ényo, la déesse des Batailles. La description d'Arès et de ses oiseaux monstrueux renvoient  à l'oppression, à l’injustice ou aux fléaux. 

 

Que sait-on de l'enfance d'Arès ?

Ses parents ne semblent guère l'aimer. Il est le seul enfant légitime du couple de l'Olympe, Zeus dieu du tonnerre, et de Héra, déesse connue pour son humeur irritable. Ses deux parents symbolisent les changements atmosphériques et la fureur de la nature. Son père Zeus le détestait, lui criait « Je te hais plus qu'aucun des dieux qui vivent sur l'Olympe car tu ne rêves que discordes, guerres et combats. »

Sa mère Héra le traite de : " fou qui ne connaît aucune loi." Elle le décrit qui s'élance au combat emporté par une véritable folie belliqueuse, les yeux égarés, poussant une clameur énorme, avide de sang et de carnage, insatiable dans sa fureur, indifférent d'ailleurs à la justice et ne reconnaissant aucune loi sauf celle de la guerre.

Lorsque le dieu Arès avance à la bataille, il ressemble à un fleuve déchaîné et bouillonnant, capable de remuer les marécages. Le dieu qui préside au corps-à-corps dans le conflit se retrouve tout naturellement concerné, sur le plan narratif, par tous les dangers et les malheurs qui guettent les combattants : blessures, douleurs et épuisement de la force vitale. Arès a un caractère violent et inconstant.

 

Existe-t-il un parallèle, entre les larmes et les armes? Cela crée presque un mouvement inversé : dans les larmes, on s'abandonne tandis qu'avec des armes, on se donne. l

Les unes, les armes, amènent les larmes mais peut-être à force de pleurer entre-t-on aussi en résistance? 

Le conflit induit un pouvoir unifiant. Il est reconnu que la loi de la réciprocité est bien à l’œuvre sur le champ de la bataille, lieu d’un échange généralisé entre les coups que l’on donne et ceux que l’on reçoit.

 

Mais à quel moment est-il possible de détacher ce lien de cause à effet ? Comment sortir de ce lieu entremêlé par la pulsion sauvage ?

Si cela est possible, qu'est-ce qui peut venir aérer ces marécages du pulsionnel, de l'impensé ?

 

En semant la discorde, la sœur jumelle Éris nous met bien face à notre destin. Elle nous oblige inconsciemment à prendre une direction, à emprunter un chemin. Elle pousse à agir, à réagir, à sortir de la plainte ou de la délation.

Comme la Sphinge d’Œdipe, elle pose non pas une, mais « la » question primordiale pour donner un sens à notre vie, et par suite à notre mort. Éris dérange le contexte, brouille l'environnement connu. Elle est crainte par peur du changement qu’elle entraîne, qui sèmera d’abord désordre entre les êtres, qui sèmera le trouble, la panique en nous-mêmes. Cependant Éris pousse à tenter l’aventure, à entrer dans l’action. Elle met à l’épreuve afin d’accéder à un autre niveau.

Elle est la provocatrice, l’émulatrice, la stimulatrice, l’initiatrice, le déclencheur de métamorphoses, de transformation, d’évolution.

Elle participe au destin du monde, et par suite à celui de chaque être vivant.

Alors peut arriver le tiers, Héraclès, convoqué pour ce sixième travail :  il regarde les marais, comprend ce monde entier aux eaux stagnantes, si proche à la fois de ce qu'il a été avant de démarrer sa quête personnelle, un monde instable, aux eaux spongieuses, impénétrable, ne permettant pas de supporter son poids et trop peu profond pour accepter la ligne d'une barque.

Il appelle à l'aide; il se sait nu. La déesse Athéna apparaît et lui tend une paire de grelots (ou une crécelle) de bronze, fabriquées spécialement par Héphaïstos, le forgeron. Dans ce monde de silence, le son prend forme.

 

La mission d'Héraclés est d'apporter du changement, (diférenciation) de faire disparaître la monstruosité, (ondes alpha) de combattre et de chasser les oiseaux indésirables. Cela doit passer par l'éradication, la disparition des oiseaux.

Un terrible grondement effraya les oiseaux monstrueux qui affolés prirent leur envol. Ainsi Héraclès put-il les tuer avec ses flèches. 

Il put ensuite constater sa volonté de vivre. Apprécier cette expérience intime de la découverte du moi profond par la confrontation avec sa part la plus obscure, révélatrice de ses contenus inconscients.

 
Le rôle de la violence dans la culture humaine, René Girard
Inscription à l'atelier de lecture jungien : septembre 2022-juin 2023

En conformité avec le Règlement Européen sur la protection des Données Personnelles - RGDP (entré en vigueur le 25 mai 2018), et si vous souhaitez continuer à recevoir la lettre # LYXIS, abonnez-vous !  N’oubliez pas de cliquer sur le lien à réception du mail de confirmation. Les informations qui seront recueillies via ce formulaire seront confidentielles. Vous avez la capacité de modifier et/ou d'effacer définitivement vos données en suivant le lien prévu à cet effet proposé dans chaque lettre # mensuelle LYXIS.  

Cabinet LYXIS
07 83 35 46 35

Partager sur :

Partagez sur FacebookPartager sur X (Twitter)

Lyxis, Manosque, Mosaique  

Pour connaître toutes les formations : Je fais partie de la coopérative d'Activités et d'Entrepreneurs Mosaïque, organisme de formation continue enregistrée sous le  n°93.04.00859.04 et certifié Qualiopi.

https://www.lyxis-conseil.com/