Julia Bijaoui (Frichti) "Frichti est opérationnellement rentable sur tous ses dark stores"

Alors que la crise sanitaire a dopé la croissance du quick commerce en Europe, la cofondatrice du pionnier français analyse l'évolution du marché et la position de Frichti parmi les acteurs en présence.

JDN. Pionnier du quick commerce en France, comment Frichti a-t-il évolué en six ans ?

Julia Bijaoui, co-fondatrice de Frichti. © Fabien Breuil

Julia Bijaoui. Notre modèle de dark stores est notre manière d'opérer depuis six ans. C'est la technologie que nous avons créée, à savoir la mise en place d'un petit entrepôt urbain pour livrer rapidement les clients. Nous sommes les seuls à opérer cette technologie de dark stores de manière rentable. Mais ce modèle existe en Chine depuis une dizaine d'années avec des acteurs comme MissFresh et Hema Fresh.

A notre création en 2015, nous voulions combiner un niveau élevé de praticité pour les clients et répondre aux besoins d'une alimentation plus saine avec des produits frais et bio. Ces tendances alimentaires ont émergé il y a moins de dix ans. D'ailleurs, les seuls secteurs en croissance dans les supermarchés sont les rayons bio et les rayons de plats préparés. Ce sont des tendances de consommation qui s'inscrivent dans la démarche de bien manger tout en respectant la planète.

Au-delà des dark stores, quelle a été votre vision sur la gestion de la chaîne de valeur il y a six ans ?

Très vite, nous avons eu l'ambition de devenir un service du quotidien pour les citadins, or cela implique de proposer des prix différents de ceux proposés au restaurant. Plutôt que de créer une marketplace, nous avons fait le pari de verticaliser toute la chaîne de valeur. Nous sourçons nos produits, nous cuisinons certains produits et nous en vendons d'autres brut. Nous opérons nous-mêmes la préparation des commandes dans nos entrepôts. Aujourd'hui, nous avons prouvé que ce fonctionnement nous permettait d'obtenir de très bons résultats économiques sur le long terme, et en maîtrisant la technologie et le savoir-faire nous sommes opérationnellement rentables sur nos dark stores. 

Depuis 2015, le marché de l'alimentaire s'est fortement digitalisé. Comment l'activité de Frichti a-t-elle évolué en parallèle ?

Il y a six ans, le secteur de l'alimentaire n'était pas digitalisé hormis le drive qui représentait à l'époque 2% de la pénétration du e-commerce sur le marché de l'alimentaire en France. La première vague de digitalisation a concerné les restaurants et c'est la raison pour laquelle Frichti a démarré avec les plats cuisinés au départ car on associait initialement l'usage de la livraison aux plats préparés. Il y a trois ans, nous avons lancé notre offre supermarché en prenant conscience que les courses représentent un marché encore plus important. C'est un usage récurrent mais qui n'a aucun intérêt en termes d'expérience client. Faire ses courses au commerce de quartier ou au marché permet de favoriser le lien social mais l'expérience du supermarché n'est pas enrichissante en soi. Et l'expérience digitale peut apporter de la valeur car au lieu de parcourir des rayons et de choisir les articles les uns après les autres, nous proposons des recettes et des vidéos et nous ajoutons des vidéos sur la fiche produit pour ajouter des informations complémentaires. Le digital offre la praticité d'être livré en 10-15 minutes mais permet aussi une expérience d'achat beaucoup plus riche.

Par ailleurs, l'Europe est très en retard par rapport à la Chine sur la digitalisation des courses et le covid a joué son rôle d'accélérer le marché en même temps que les besoins des consommateurs. La croissance des acteurs qui se sont lancés pendant la crise révèle l'appétence des clients pour ce marché et les investisseurs ont réalisé que le quick commerce est le bon modèle pour digitaliser les courses en ville. 

Le modèle Frichti est donc le plus adapté pour digitaliser l'univers des courses ?

Oui, car la marketplace ne permet pas d'offrir une expérience client optimale. En effet, un supermarché n'est pas apte à préparer des commandes et à les livrer rapidement mais il y a aussi des frictions au niveau des stocks car les supermarchés ne les gèrent pas de manière précise. Enfin, d'un point de vue économique, les courses sont un marché avec peu de marges donc s'il faut la partager entre le producteur, Carrefour, Uber Eats et le livreur, l'équation ne fonctionne pas. C'est la raison pour laquelle il faut verticaliser la chaîne de valeur, et nous savons depuis longtemps que c'est le modèle économique gagnant dans les villes. Nous travaillons en direct avec les marques, nous supprimons les intermédiaires et surtout nous sommes proches de nos clients. Or, ce qui coûte de l'argent en e-commerce, c'est la livraison et en étant proches d'eux, notre promesse client génère du repeat et nos coûts de livraison sont réduits. 

Quel regard portez-vous sur cette nouvelle concurrence qui accumule les levées de fonds, et comment voyez-vous l'avenir du marché ?

"Nous lançons une marque distributeur fin septembre"

Structurellement, l'e-commerce est un métier de volume et de masse et c'est dans la masse que l'on fait de l'argent. L'ouverture des dark stores implique des investissements pour créer les infrastructures qui deviendront rentables à long terme. Et il semble que le moment soit idéal pour le marché surtout si les consommateurs répondent présent. Actuellement, il y a un niveau concurrentiel qui est très fort avec pas mal de copycat dans le lot. Le marché bouge vite et prend une dimension forte mais à terme, je pense qu'il y aura deux ou trois acteurs qui défendront une proposition de valeur légèrement segmentée, comme Monoprix qui n'a pas tout à fait la même proposition de valeur que Carrefour Market par exemple. 

Chez Frichti, nous pensons que la réussite de ce modèle ne repose pas uniquement sur une livraison en 10 minutes de produits en provenance du supermarché d'à côté. Certes, le supermarché nouvelle génération implique la livraison mais c'est aussi la proposition d'un inventaire qui correspond aux aspirations des clients. Il s'agit du circuit court et des produits frais notamment. 

Quels sont les projets en cours chez Frichti pour vous démarquer de la concurrence ? 

Nous avons beaucoup d'avance puisque notre marque est connue. Notre but est de consolider notre position de leader en France en nous appuyant sur nos clients existants et en investissant dans notre croissance. Nous avons ouvert Bordeaux, Lyon et Lille avant l'été mais aussi Bruxelles, et Frichti sera présent dans d'autres villes d'ici la fin de l'année. Nous évoluons sur le même terrain de jeu que les autres acteurs mais notre proposition de valeur est différente en termes de fraîcheur des produits, de plats cuisinés et nous construisons la légitimité de notre marque à vendre des produits sains.

Nous allons lancer une marque distributeur fin septembre afin de proposer des produits de qualité au meilleur prix. Ce sera aussi un outil pour travailler la marge. La marge se travaille au niveau des dark stores, sur la livraison mais aussi en travaillant ses achats et en remontant toujours plus les filières. 

Diplômée de HEC Paris en 2012, Julia Bijaoui commence sa carrière chez JolieBox (qui fusionne avec BirchBox la même année) et occupe le poste de responsable stratégie et opérations. En juin 2015, elle cofonde Frichti avec son associé Quentin Vacher. La solution opère dans une dizaine de villes en France, dont une à l'international (Bruxelles).