Kaddish pour Soeur Paula

Soeur Paula (1929-2019) , qui était Rachel, fille de Faygué et Simha,

est morte samedi dans sa chambre au couvent bénédictin sur le Mont des Oliviers.

Paula, une femme de petite stature, énergique et souriante, aux yeux bleus et avec un visage qui ne trahissait pas son âge. Samedi dernier, lorsqu’elle a rendu son âme au Seigneur, elle était proche de son 90e anniversaire. Tous ceux qui l’ont connue et aimée sont unanimes qu’elle alliait la pureté avec une bonté sans bornes. Elle était de ces rares personnes de ce monde auxquelles personne n’en n’a jamais voulu ou n’a ressenti ne serait-ce que le moindre sentiment négatif envers elle. De plus, il me semble aussi que tous ceux qui l’ont connue sont bien d’accord là-dessus : cela faisait longtemps déjà qu’elle voulait fermer les yeux et quitter ce monde et aller vers d’autres cieux. Sœur Paula, Rachel fille de Faygué et Simha, toujours souriante et pleine de bonté, avait en elle un abysse de tristesse. La nostalgie de sa famille juive disparue au cours de cette terrible guerre sur le continent chrétien, a pris fin cette semaine avec son enterrement au couvent du Mont des Oliviers qui surplombe la capitale d’Israël, Jérusalem.

J’ai pleuré ensemble avec un grand nombre de personnes présentes à l’église, venues à la messe funéraire, et je remercie les sœurs qui m’ont invitée à lirei quelques versets de la Consolation d'Ésaïe, que j’ai récités avec beaucoup d’émotions. Et à mes yeux il n’était pas moins important de réciter le Kaddish sur sa tombe. Cela, je le sais avec certitude que c’est ce qu’elle aurait voulu. Deux jours après l’enterrement on a retrouvé une feuille qu’elle avait gardée dans sa chambre, sur laquelle était décrit comment le Cardinal Lustiger (né Aaron Lustig, qui lui aussi perdit ses parents bien aimés dans la Shoah et qui s’était converti) avait demandé qu’on lise le Kaddish sur sa tombe. J’ai ainsi obtenu la confirmation que telle était sa volonté.

Prière du Kaddish - à l’enterrement du Cardinal Lustiger

Jean-Marie Lustiger était l’un des leaders les plus importants du monde chrétien. Lustiger était cardinal à l’église catholique à Paris et fut candidat à la papauté. Pendant toute sa carrière Lustiger n’a jamais caché le fait qu’il était né juif et que son nom avait été Aaron Lustig. Pendant la Shoah, après que sa mère fut tuée dans un camp d’extermination, Lustiger s’était converti. Avant sa mort il demanda que pendant son enterrement soit lu le Kaddish et que sur son tombeau soit écrit son nom – Aaron. 09-2007.

C’est Beer Twito , fils d’un couple d’amis, qui a noté son histoire, alors qu’à l’école on lui avait demandé d’écrire un rapport sur la Shoah. Je lui avais proposé d’écrire sur la relation des survivants par rapport au christianisme et je lui ai fait faire connaissance avec Sœur Paula et avec une autre rescapée, une charmante personne qui s’appelait Tirtza Dvir (Dieu ait son âme), qui ne s’est pas convertie, qui a écrit plusieurs livres dont je recommande vivement la lecture. Grâce au travail de recherche de Beer je pourrai raconter ici les choses telles qu’elle nous les a racontées un jour, dans la petite salle d’hôtes au couvent sur le Mont des Oliviers.

Sœur Paula Couvent des Bénédictines au Mont des Oliviers' Dimanche des Rameaux

L’histoire de Rachel, fille de Faygué

 

Sœur Paula est née en 1929, sous le nom de Rachel, fille de parents juifs aisés, dans la ville de Lomza (Łomża). La mère, Faygué, est morte peu de temps après sa naissance et le père, Simha, s’est remarié avec une femme gentille et maternelle dans son rapport avec Rachel/ Paula. Quelques années plus tard est né son petit frère – Yitzhak. En septembre 1939 les Nazis sont arrivés en Pologne et à l’époque où il y avait encore de la coopération entre la Russie et l’Allemagne, le père de Paula (qui avait maintenant dix ans) a été enrôlé de force dans l’armée russe, où il fut blessé. Sa femme eut l’occasion de le visiter à deux reprises à l’hôpital, mais une fois que les Allemands eurent abandonné l’alliance avec les Russes, il semblerait que les Nazis l’ont tué, car à la troisième visite de sa femme à l’hôpital, il n‘était plus là.

La prochaine phase fut le ghetto : Paula, sa mère et son petit frère s’entassèrent dans une petite pièce avec des membres de leur famille – où ils vécurent pendant environ un an.

« Au début les Nazis ont pris l’argent et les objets précieux des Juifs et lorsqu’il ne resta plus rien à prendre – ils ont commencé à prendre les Juifs au « travail », alors qu’en fait ils les emmenaient dans la forêt pour les tuer, selon l’histoire du cousin germain ».

Comment l’as-tu su ?

« Un jour j’ai grimpé sur le portail du ghetto et j’ai observé comment on emmenait les vieux et après ça les enfants, mais je n’imaginais pas encore à l’époque qu’on les menait à leur mort ».

Lorsque fut organisée une fuite hors du ghetto avec l’aide de « bons Polonais», elle fut attrapée par la Gestapo et interrogée :

« où avais-je l’intention de me rendre? Et j’ai dit que je ne savais rien. Quand ils m’ont arrêtée j’étais sûre qu’ils allaient me tuer, mais ils m’ont ramenée au ghetto. J’y ai passé encore deux jours ou trois et alors la famille polonaise qui nous assistait nous a fait signe qu’on pouvait sortir et elle nous a aidé à aller dans la forêt – toute la famille. Il faisait froid et il y avait une neige polonaise de deux mètres de hauteur. Les Polonais nous ont aidés pour faire du feu et avec la nourriture. Nous avons été dans la forêt jusqu’au moment où on nous a averti qu’il allait y avoir une rafle et qu’il fallait absolument prendre la fuite, chacun dans une autre direction. Pour chaque Juif que l’on remettait aux autorités on recevait trois kilos de sucre ou une pension alimentaire ».

Voilà les faits de novembre 1942 jusqu’au 6 janvier 1943.

Une jeune fille de 14 ans entre la mort et la statue de Jésus
 

« Le 6.1.1943 j’étais avec une amie et il y avait de la neige poudreuse et c’était le jour de l’Epiphanie et il y avait des chasseurs polonais qui nous ont vues sur le chemin ; j’avais un manteau de riches, alors ils ont compris que nous étions juives et ils ont commencé à jeter des boules de neiges sur nous. J’ai regardé le chemin devant nous et j’ai vu une chapelle et une croix et j’ai dit à mon amie : « Si nous nous accroupissons ils penseront que nous sommes chrétiennes. » Ca a été un miracle pour nous parce qu’ils ont arrêté immédiatement. J’ai vu sur la croix quelqu’un qui souffrait. Comme moi. Je ne suis pas capable de dire ce qui s’est passé. C’est difficile à décrire. « Tu es juif » j’ai dit , « tu souffres et nous aussi ! Toi aussi tu vis – et tu vas me sauver !!! » A ce moment même nous avons été sauvées ; après cela j’ai passé deux mois dans un garde-manger avec des pommes de terre et j’ai prié à Dieu « Tu sais que je ne veux pas devenir chrétienne – ils sont méchants ! mais si je sors d’ici… alors… tu me garderas ! » Mon amie, Sarah, qui «était avec moi, ne s’est pas convertie et elle vit aujourd’hui en Australie. »

Elles décidèrent de se séparer et de suivre chacune son chemin. 20 ans plus tard Sarah a renouvelé le contact.

« J’ai survécu mais je voulais mourir ! Je ne voulais pas dire que je suis juive, je suis passée d’une maison à une autre en disant que je suis orpheline. Je me suis inventée un nouveau nom et finalement il y a eu une famille qui a bien voulu me prendre. J’ai vécu chez une famille allemande, je prétendais être une orpheline polonaise et j’étais obligée d’aller à l’église, de célébrer les fêtes, d’aller à la confession… pour garder le bébé de la famille, nous y allions à tour de rôle : une fois c’était la mère qui allait à l’église et l’autre fois c’était moi. Ils avaient une fille âgée de 12 ans qui est devenue mon amie et à la fin je lui ai avouée que j’étais juive et que je voulais me faire baptiser, alors elle m’a montré ce qu’il fallait faire à l’église et m’a présentée au prêtre et je lui ai raconté et il n’a pas voulu me croire que je suis juive, à cause de mon visage slave. A la fin il a parlé avec la famille et il m’a baptisé. »

Au couvent

 

“En 1945 je suis entrée au couvent bénédictin dans lequel je travaillais en tant que volontaire, et le couvent a refusé de me recevoir comme nonne. C’est là que des proches m’ont trouvée en 1949 après des années de recherches, mais je ne voulais pas qu’ils me trouvent. Je voulais qu’ils me croient morte. Quand ils m’ont trouvée j’ai dû leur écrire une lettre et la signer pour leur expliquer que je désirais vivre au couvent et que je ne voulais pas le quitter. C’est alors que le couvent a décidé de me recevoir en tant que nonne. Environ trente ans plus tard (1974) le couvent m’a donné la permission de sortir du couvent pour trois mois, j’ai obtenu un visa à Rome pour me rendre en Israël. A la suite de Frère Daniel (un juif polonais qui a été sauvé en Pologne, qui lui aussi est devenu un moine et est allé vivre à Haifa), avec lequel j’étais en contact par courrier, je suis arrivée à Haifa mais je n’ai pas pu rester là et je ne voulais pas vivre dans la communauté mais dans un couvent, comme en Pologne. J’ai fait une demande de prolongation de mon absence à mon couvent en Pologne et finalement je suis arrivée au couvent sur le Mont des Oliviers. Là m’attendait une vie difficile : il y faisait plus froid et la pauvreté y était plus grande. Mais la vie dans l’ordre bénédictin c’est comme la vie des juifs : des prières et des règles. C’est vrai que nous n’étions pas orthodoxes, mais le sabbat mon père rentrait à la maison et nous allumions les bougies et célébrions le sabbat, et il en a été de même dans le ghetto. »

Indemnisations pour la rescapée de l’holocauste

 

Moi, Yisca, je vais et je viens au couvent bénédictin depuis au moins vingt ans. Un grand nombre de mes élèves et auditeurs, des guides touristiques, ont visité le couvent pour y parler sur la vie des sœurs auprès de Sœur Christine, l’ancienne abbesse du couvent, une femme merveilleuse et accomplie, qui a toujours enchanté les auditeurs avec ses explications et son attitude très particulière envers le peuple juif. Elle était très proche de Sœur Paula et prenait soin d’elle avec beaucoup d’amour. Suite à l’absence de l’abbesse, on s’adressa un jour à moi pour me demander de l’aide en diverses affaires, tel le règlement d’une compensation du Fonds pour les survivants de l'Holocauste. Sœur Paula refusa pendant des années de faire cette demande, mais au cours des dernières années, alors que l’état du couvent se détériorait de plus en plus, les sœurs firent pression pour qu’elle accepte. A chaque fois elle me disait – je voudrais que cet argent aille à toi, il faut donner cet argent aux juifs… Il y a deux mois j’ai amené ma sœur, qui est docteur, pour qu’elle examine Sœur Paula et c’est ainsi que nous avons soumis au ministère de la Santé une demande d'augmentation de l'allocation. Une semaine avant sa mort Sœur Paula m’a appelé au téléphone pour m’annoncer qu’une allocation mensuelle de 200 shekels lui avait été accordée… Quoi qu'il en soit, l’employée du Comité des réclamations des survivants de l'Holocauste m'a beaucoup émue au moment où j'ai entamé le processus il y a trois ou quatre ans: c’est avec beaucoup d’hésitations que j'ai présenté les documents d'une survivante de l'Holocauste montrant la photo d'une religieuse vivant dans un couvent. "Peut-on demander une compensation pour quelqu'un qui est devenu chrétien?" La réponse de l’employée fut franche: "Qui sommes-nous pour juger ceux qui ont vécu cette époque?"

Entre judaïsme et chrétienté, entre le couvent et l’état d’Israël

 

Comment as-tu décidé de devenir religieuse et de ne pas retourner au judaïsme?

"Après la guerre, je me sentais seule. Je voulais vivre dans un couvent, mais chaque jour, je voulais mourir ! J’avais mal - pourquoi ne cherche-t-on pas et ne trouve-t-on mon frère, je me sens coupable. C'est ma blessure. La décision a été : si je deviens chrétienne – ce sera en tant que nonne! Et c’était pour prier pour le Peuple d’Israël (j'ai appris l'hébreu à l’Ulpan Etzion ici en Israël, mais quand j'étais enfant, nous avions deux leçons d'hébreu par semaine à l'école juive de Lomza et à la maison on parlait le yiddish. Papa disait qu’il fallait apprendre l’hébreu). J'allume toujours deux bougies en l’honneur du Chabbat, je demande toujours d’être libérée de charges plus longuement pendantle Chabbat et je prie toujours pour le peuple d'Israël. La signification de l'État d'Israël c’est: soyez fiers et heureux. C’est là la chose la plus importante. "

Je venais rendre visite à Paula à diverses occasions, seule ou avec ma famille. A chaque fois elle me recevait avec une petite collation et un bouquet de fleurs…

A droite Paula et ma nièce Keren avce son compagnonOr,
à gauche Paula avec mon fils cadet Ro-i


Les soeurs (Marie Bénédicte à droite et Paula à gauche) me remettent une « icône juive » qu’elles ont préparée spécialement pour moi : Ruth et Naomi - sans auréoles…

A la dernière fête de Hanoukka, j’ai allumé la sixième bougie dans le monastère ensemble avec un groupe d’Israéliens que j’ai guidé sur le mont des Oliviers. Sœur Paula était radieuse !


En sortant, Soeur Paula nous a demandé de déposer les candélabres de Hanoukka sur les rebords des fenêtres de l’église !

Épilogue

 

En tant que chercheuse en Chrétienté et amie du couvent, j’ai demandé la permission, il y a plus de 10 ans, à Christine, l’abbesse du monastère, de passer la Semaine Sainte au couvent. C’est une semaine d'intensité religieuse pour les chrétiens (et sans le vouloir, pour les juifs également dans les diverses périodes sombres ...). Cette semaine, qui culmine dans la crucifixion de Jésus, comprend une nuit de veille dans une chapelle intérieure du monastère, dans une zone à laquelle les invités n’ont pas accès. C’est là que se trouve la croix et à côté les cierges et les religieuses y sont agenouillées dans un silence total. La mère supérieure Christine m'a permis d’entrer, rester là et observer. Dans l'espace intime chargé de signification chrétienne et vêtu de ‘un silence dramatique, comme il sied à la mort du Messie chrétien, j'ai été admise – en tant que juive. Je savais que c'était une occasion rare de m'honorer en tant qu'amie de couvent depuis de nombreuses années. Mais dans le silence, sœur Paula entra, rompit le silence et me demanda ... si je n'avais pas faim ... !! Ensuite elle est sortie et est revenue et m’a demandé de nouveau si je ne voulais pas manger, puis elle est sortie à nouveau et elle est retournée avec un sachet en main, qu’elle a froissé bruyamment en rompant le silence, elle m'a apporté à manger et m'a supplié d'aller manger dans la chambre qu'on avait mise à ma disposition pendant cette semaine. C'était embarrassant et inapproprié par rapport au caractère sacré de l'endroit. Je n'ai pas compris ce que je sais aujourd'hui: la sœur de Paula n'a ménagé aucun effort pour me tenir à l'écart du crucifié.

 

Mardi dernier, j'ai lu un extrait d'Isaïe 60 pendant la messe funéraire :

 

1 Lève-toi et resplendis ; car ta lumière paraît et la gloire de Dieu s’est levée sur toi

2 Voici que les ténèbres couvrent la Terre et une sombre obscurité les peuples, mais sur toi Dieu se lève et sa gloire se manifeste sur toi.

3 Les nations marchent vers ta lumière et les rois vers la clarté de ton lever.

4  Lève tes regards autour de toi et vois : tous se rassemblent, ils viennent à toi ; tes fils viennent de loin et tes filles sont portées sur les bras.

Et auprès de la tombe au cimetière du couvent j’ai dit le Kaddish.

Repose en paix dans ta tombe, Sœur Paula, Rachel fille de Faygué et Simha.

Je suis née et je resterai toujours juive, et mon cœurs, comme le tien, continuera toujours à embrasser tout être humain, quelle que soit sa religion, pourvu qu’il soit pur et bon et qu’ilprie pour autrui.

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