PILGRIMYSTIC POST N°9

 

Autopsie de la politesse

Salutations cher lecteur 

 

Je vais m'efforcer de faire court aujourd'hui.

 

En effet, la notion dont il est question aujourd'hui et sur laquelle je me penche depuis la semaine dernière, mériterait à elle seule plusieurs centaines de pages.

Nombre d'ouvrages ont été écrits sur son compte, et probablement encore d'autres à venir. Mais, pour ma part, ici ce soir, je serai brève (je l'espère), et vous donnerai un simple exposé de ce que je pense de ce sujet.

 

La politesse, vous l'aurez compris grâce au titre, je l'ai tuée ! Sans quoi, je ne serais pas là, à vous en faire le compte-rendu d'autopsie.

J'aurais pu vous en décrire l'anatomie, mais sans la dépecer, il m'aurait été difficile de le faire, aussi ai-je décidé de l'assassiner, d'abord par haine, refus, et horreur, pour, quelques années plus tard, la sortir de son bocal, l'observer, l'étudier, et, à travers mes microscopes et planches linguistiques, sociales et philosophiques, lui accorder sa dernière heure de gloire (ou sa dernière chance) dans mon laboratoire.

 

Installée à ma table d'examen, je la questionne, lui demande d'où elle vient, sa raison d'être, son utilité, son "but dans la vie".

 

Elle me répond qu'elle vient du latin politus, lisse, "qu'on a poli". Aussi je pense à mes balades en bord de mer, où sont polies les roches, devenant des galets, tous semblables, comme forgés dans le même moule, celui de la mer, par mécanisme d'érosion.

 

Puis, se prenant très au sérieux, elle me dit que sa visée téléologique (oui elle utilise des mots compliqués, mais cela veut seulement dire "son but dans la vie") est celle de la paix dans le monde...

"Rien que ça !?", lui dis-je, "peux-tu développer ?" ajoutai-je (oui je la tutoie, en même temps, je l'ai tuée, enfermée dans un bocal, lui suis passée devant tous les jours, l'ai sortie du bocal, piétinée, insultée au quotidien, bref, on se connaît bien, enfin était-ce ce que je croyais à ce moment-là).

 

Après avoir pris une grande inspiration, elle se mit à tousser, à s'étouffer, puis à marmonner quelque chose d'incompréhensible... Je me dis alors que je l'avais tuée une seconde fois, qu'il fallait lui apporter des soins, mais comment traiter la politesse ? Avec gentillesse ?

J'ai essayé, sachez que ça n'a pas fonctionné !

 

Avec politesse, évidemment...

Sauf que je ne savais toujours pas exactement ce que cela signifait.

 

Alors j'ai tenté ma chance, j'ai récité tous mes classiques, appris depuis la petite enfance, à base de "Madame, s'il vous plaît, si vous voulez bien vous donnez la peine, cordialement, merci, après vous, etc.).

 

Nada !

 

Un peu peinée par cette enquête avortée, je soupire, range mon bistouri et au moment où j'allais éteindre la lampe au-dessus de la table d'examen, voici que j'entends une petite voix, à peine un murmure : "si ce n'est pas sincère, edjfhphgoazjego ujhbfzhpdvjn", n'ayant rien compris à la moitié de ce qu'elle venait de marmonner, je demande poliment : "pouvez-vous répéter s'il vous plaît madame de la Politesse ?"

 

Tout à coup, un cri : "Si c'est pas sincère, ça marche pas, bordel !"

 

Le choc... voilà que je me fais insulter par la politesse, en personne !

Avais-donc à faire à un spécimen rare, une politesse impolie !??

 

Lui ayant répondu de manière réciproque, ou l'ayant remisée dans le formol, je ne sais plus, je décidai d'aller questionner mon ami Jean-Jacques, lui pourrait m'en dire plus.

 

C'est ainsi que je lançais un appel FaceTime depuis mon tout nouvel iPhone, pour demander de l'aide pour cette autopsie qui n'avançait pas.

Jean-Jacques a décroché au bout de la 5eme sonnerie, il avait l'air occupé, mais lorsque je lui ai dit que j'avais dans mon laboratoire la Politesse en personne, il s'arrêta au milieu de son Big Mac, mis ses écouteurs, installa son téléphone bien face à lui, adossé à son grand verre de soda (je ne lui ai pas demandé ce qu'il buvait), j'ai cru voir passer derrière lui Hume et Kant, mais j'ai dû halluciner !

 

Donc après m'avoir demandé de lui montrer la dépouille de la Politesse, parce que ça faisait au moins deux siècles et demi (274 ans pour être précise), qu'il voulait lui faire la peau, in personam, il me dit (en gros) que la politesse, ça sert à se faire passer pour vertueux alors qu'on ne l'est pas, que ça met tout le monde dans le même moule, et que du coup personne n'est vraiment authentique, blablabla, puis il me dis de prendre des notes et d'écrire que la politesse est "un voile uniforme et perfide", que "sans cesse la politesse exige, la bienséance ordonne : sans cesse on suit des usages, jamais son propre génie."

Je vous passe les détails, parce qu'il s'est mis à réciter son Discours sur les sciences et les arts, 1750, et je n'avais pas que ça à faire.

 

Il reprend une bouchée de son hamburger, pioche quelques potatoes, et sur mon téléphone s'affiche un double-appel : c'était Emmanuel...

Concentré sur son cornichon et son bout de salade, Jean-Jacques me dit : "Bien fait pour elle si tu l'as tuée cette politesse, au moins maintenant nous sommes libres" !

 

Ne voulant pas le vexer, ni manquer l'appel d'Emmanuel, je mets fin poliment à l'appel avec Jean (oui à force, je ne l'appelle que Jean), lui souhaitant un bon appétit.

 

Je permute donc l'appel, bascule de Jean à Emmanuel. Ce dernier ne m'appelle pas en visio, heureusement, sinon il verrait le bazar chez moi, et on serait parti dans une énième énonciation moralisatrice...

 

Je peinais à l'entendre clairement, il y avait du bruit autour de lui, chose rare, mais, en prêtant l'oreille attentivement, en attendant qu'il comprenne qu'il peut parler et entendre en même temps en plaquant le téléphone à son visage, je reconnaissais les sons environnants...

Je lui demandai : "Monsieur Emmanuel, ne me dites pas que vous êtes au Fast Food !!??"

Il me dit : "Fast Food je ne sais pas, c'est David qui m'a mené ici, je l'attend pendant qu'il va se désaltérer, nous ne restons pas longtemps, nous avons encore de la route. Si je vous ai fait appeler, c'est parce qu'il y a quelques minutes à peine, j'ai cru entendre un malotrus, sans savoir-vivre, qui parlait de la Politesse, et surtout en passant derrière lui, j'ai cru reconnaître votre intérieur, toujours si désordonné. J'ai voulu vérifier s'il n'était pas en train de vous attirer dans ses réflexions peu vertueuses en matière de morale, notamment à travers ses propos fort peu avenants sur la Politesse."

 

"Heu... Monsieur Emmanuel, pardonnez-moi, je sais que l'impératif catégorique m'empêche de vous mentir, aussi, je dois vous avouer que je suis en train de réaliser l'autopsie de Dame Politesse."

 

"Doux Jésus, en voilà une nouvelle... Dites-moi, elle a ressuscité n'est-ce pas !?"

 

"Comment le savez-vous ? Oui c'est vrai qu'elle ne cesse de revivre, même si je la tue..."

 

"Bon écoutez mon petit, David est bientôt de retour, je ne peux pas rester longtemps en communication, et il ne faudrait surtout pas qu'il entende cela. Mais sachez que, de mon côté, je considère que même si elle n'est pas toujours authentique et vraie, elle est une adjointe de la vertu, car personne n'est dupe dans ce jeu social, et David vous aurait dit qu'elle est fort utile pour apaiser les tensions entre les hommes. Mais le voici qui revient déjà, je dois vous laisser, bonne journée."

 

Fin de l'appel.

 

Quelle histoire ! Rousseau, Hume et Kant, tous les trois dans le même Mc Donalds ! Dingue !

 

Au moment où je m'apprêtais à laisser la politesse hors de son bocal, je me ravisais avant de la remettre tout de suite en liberté. En effet, je préférai la mettre dans une belle cage, d'où je pourrai encore l'observer et lui parler, d'autant que je viens de recevoir un email de Brown et Levinson, et une demande d'ajout en amis de Grice et de Leetch...

Je sais déjà que j'ai encore des recherches à faire en matière de "Principes de Politesse", avec ces messieurs, linguistes et spécialistes des situations de communication.

 

J'avais promis de tenter d'être brève... Je ne sais pas si ma promesse a été tenue !

J'espère que ce petit divertissement spontané, écrit d'un seul tenant, vous aura plu, et vous aura fait réfléchir un peu sur la question de la politesse dans nos sociétés humaines (et non humaines).

 

En vous souhaitant un merveilleux Chemin,

Que la Paix soit sur vous,

Habiba Hafsaoui-Hellégouarch

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