Le corps, clé oublié de la thérapie ?

Avant de pouvoir faire un travail thérapeutique au niveau des émotions, où les véritables mutations et guérisons psychiques se font, il va falloir apprendre au patient à se connecter à son corps. En effet, les émotions se vivent d’abord dans le corps plutôt que dans la tête. D’où l’importance de développer sa conscience corporelle pour s'ancrer dans la réalité présente, dans ses appuis sur le sol, sur le support où la personne est assise, pour sentir l'énergie de ses émotions corporellement, afin de pouvoir concrètement s'appuyer sur ces énergies pour avancer, pour s'adapter, pour répondre aux situations qui se présentent. Le développement de la présence attentive, véritable porte d’entrée pour l’accueil inconditionnel des émotions, leur permet de sortir de leurs réactions inconscientes souvent très rapides et pas toujours adaptées, pour aller vers plus de réponses conscientes, alignées sur leurs objectifs et leurs valeurs. Le retour au corps permet d’accéder à leurs limites corporelles, qui enveloppent, qui rassurent, qui apaisent, car souvent l’agitation mentale et les angoisses naissent de tous les possibles accessibles à l’entendement, au fantasme du zéro-limite, du « quand je veux, où je veux ». Qui paradoxalement met la personne dans une difficulté, voire une impossibilité de choisir, source d’anxiété, de doutes et de stress, nourrie par des jugements internes fluctuants et versatiles. Or, le corps ne juge pas, il sent. Le contrôle cérébral consiste donc à moins penser, pour d’abord sentir et ressentir. Comme aimait le dire le docteur Vittoz « pour penser juste, il est important de s’appuyer sur une sensation juste ». Cette dimension corporelle est essentielle dans la thérapie Vittoz qui s’inscrit foncièrement dans la perspective phénoménologique, pour laquelle c’est « ce qui arrive dans l’acuité de l’instant présent qui importe, avec le corps comme mode d’être-au-monde, au moment présent ».

Le propos du docteur Vittoz rejoint bien l’orientation finale de François Roustang. Après un long cheminement d’abord spirituel en tant que prêtre jésuite, il s’est formé en psychanalyse auprès de Lacan, pour se tourner finalement vers l’hypnose. Roustang disait qu’il avait compris à la fin de sa carrière que l’essentiel pour ses patients étaient qu’ils arrivent en début de séance à sentir leurs pieds posés sur le sol, afin de se décentrer d’eux-mêmes, de s’inscrire dans le réel à travers la sensorialité, afin de pouvoir ensuite s’ouvrir au changement. Et que sans cette étape intermédiaire, il était illusoire d’attendre une évolution de leur part. D’ailleurs, dans un de ses livres, il fait référence à « une méthode fondée sur l’attention accordée à la perception des sensations ». Il cite plusieurs fois Antoinette Muel et son livre « L’éveil de l’esprit » où elle présente les fondements de la méthode Vittoz, en collaboration avec Françoise Dolto. Il écrit à propose de cette méthode « Le fait de prendre conscience de l'environnement en recevant le message du monde sensible de façon plus fine et plus différenciée apporte un apaisement aux maux de l'âme et la possibilité d'une meilleure intégration dans le groupe social. Dire les effets d'une réorientation dans l'espace, énoncer ce que les sens nous apportent, […] font rompre les barrières qui nous tiennent prisonniers, en un mot recomposent notre monde. […] Ce qui est visé par cette méthode est une parole adéquate, adhérente, adhésive, qui ne laisse aucun interstice entre ce qui est senti et ce qui est dit, une parole qui parcourt, qui épouse la continuité de ce qui advient, qui explore et qui visite, bref une parole qui touche au sens littéral du mot. […] Il s'agit de tourner la pensée vers le corps, de remettre sans cesse la pensée au corps, pour redoubler la finesse du sentir, l'intensifier, l'élargir et ainsi la réhumaniser. […] Tout symptôme est une restriction, un rétrécissement, un court-circuit qui nous plonge dans l'obscurité. À l'inverse, parce que le sentir du thérapeute a pris de l'ampleur, il a suscité la même amplitude chez le thérapisant et, sur cette plage étendue, le symptôme relié à l'ensemble, a perdu son isolation. Il se trouve environné maintenant par les forces qui relèvent sa faiblesse et le font ainsi disparaître. […]. Tout au long de la cure, si le thérapeute apprend à suivre son patient à travers ses métamorphoses, il permettra à celui-ci d'en saisir l'extrémité. Celui qui est inspiré et qui improvise n'est plus le thérapeute, mais le thérapisant, car c'est lui qui détient la clé de la parole qui modifie » [1].

Les propos très fins de François Roustang sur la pertinence et l’originalité de l’approche Vittoz, qui rejoignent bien sa propre évolution et compréhension dans la façon de proposer l’hypnose à ses patients, soulignent l’importance primordial en Vittoz de la pratique d’installation au début de chaque séance. Ce temps d’installation constitue pour le patient un sas de transition, où il quitte son quotidien pour entrer dans ce nouvel espace-temps si particulier qui constitue une séance psychothérapeutique. Cela lui permet souvent aussi de débrancher un temps le mental qui a pu préparer un discours ou ses mots pour décrire sa semaine. Ce rituel d’installation créé une rupture avec ce qui s’est passé avant la séance, avec ce que le patient a préparé pour se raconter, ancre le patient dans sa réalité présente, fait émerger des sentis ou ressentis de l’instant dont le patient n’avait souvent pas conscience. Par ailleurs, de nombreux patients constatent que la séance commence bien souvent avant l’arrivée au cabinet, sur le chemin pour venir. Temps propice aux prises de conscience de nouveaux liens sur son expérience de vie, ou des éléments nouveaux de l’environnement familier qui sont perçus en réceptivité, comme une nouveauté dans ce supposé connu, et qui ouvre à la possibilité de changement, même dans la routine. Le processus de transformation du patient passerait-il principalement par le développement durable de sa conscience corporelle et d’une sensorialité plus incarnée dans le quotidien?

|1] ROUSTANG, François. Jamais contre, d’abord – la présence d’un corps.

"Vittoz: un processus thérapeutique de transformation par la présence attentive (extrait) ".

by Patrick Bobichon

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Patrick BOBICHON

Praticien de la psychothérapie Vittoz

Instructeur FOVEA

Coordinateur de l'étude scientifique FOVEA (IRDC)

Responsable de la formation d'Instructeurs FOVEA (IGF)

Pour Particuliers, Groupes et Organisations

En cabinet, sur site et par visio

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