Avant, pour les vacances, on rêvait de longues plages de sable blanc ou de piscines au bleu californien. Désormais, on ne jurerait plus que par le "retour à la ferme". En tout cas si l'on en croit les réseaux sociaux. Car la star des hashtags post-confinement porte un nom qui peut sembler barbare mais résume tout des obsessions de notre époque : cottagecore. "Cottage" comme petite maison de campagne et "core", suffixe que l'on adjoint à toute tendance émergente (le normcore, par exemple, ou le hardcore, jadis).

Sous cette appellation rugueuse se cache une esthétique qui ne cesse de prendre de l'ampleur et qui se caractérise par la célébration d'une vie campagnarde (quelque peu) idéalisée. Sur Instagram ou TikTok, on trouve donc du cottagecore à toutes les sauces et sur tous les tons : jeunes femmes en robe de bure ou de coton d'inspiration victorienne – la styliste Batsheva Hay en est le fer de lance (lire aussi p. 58) –, jeunes femmes batifolant dans les champs, les fleurs, au milieu des animaux, convoquant veaux, vaches, cochons ou chevaux et moutons.

Dans la guerre symbolique qui oppose la 5G aux amish, ce sont clairement les amish qui ont gagné !

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Mais aussi exaltation du travail de la terre, légumes du potager, poterie, vaisselle vintage, cuisine de grand-mère, livres papier, sabots de bois, feux de cheminée, capelines et chapeaux de paille… "Dans la guerre symbolique qui oppose la 5G aux amish, ce sont clairement les amish qui ont gagné !", s'amuse Nathalie Damery, cofondatrice de l'ObSoCo (L'observatoire Société et Consommation).

Comme si les branché·es d'aujourd'hui se rêvaient plus en mormon.es en résonance avec la nature et en quête de vie simple qu'en hipsters mondialisés et surconnectés. "C'est un courant qui s'inscrit dans les mouvances anti-systèmes. Il y a eu les hippies, les punks, les grunges, les hipsters… Le cottagecore est dans la continuité par les valeurs anti-consuméristes qu'il porte. Il valorise des pratiques artisanales, DIY, proches de la nature, des saisons, avec en toile de fond une tendance slow 110 life, bucolique et pastorale", analyse Feriel Karoui, consul-tante stratégique pour l'agence Whisperers.

À l'unisson, les podiums du printemps-été 2021 ont aussi célébré cette allure campagnarde. De nombreux créateurs ont non seulement présenté leurs collections dans les blés ou les forêts. Mais ils nous ont imaginées en Laura Ingalls du XXIe siècle, manière de signifier que les vêtements aujourd'hui n'avaient plus besoin d'être les alliés de la performance mais plutôt ceux du ralentissement.

Le cottagecore, un retour à la simplicité

Changement de modèle sociétal en vue ? Peut-être, car ce courant est en germe depuis un bout de temps. Mais la crise que nous traversons depuis de longs mois a eu l'effet d'un détonateur. Et ce qui était une marotte alternative est en passe de devenir le fantasme le mieux partagé de tous. "Dans les études que nous avons menées ces derniers mois et réactualisées après le confinement 1, le projet écologique arrive en tête des préoccupations et centres d'intérêt des personnes sondées", reprend Nathalie Damery.

Tou·tes ne sauteront peut-être pas le pas de l'emménagement à la campagne et du retour à la terre. Mais en attendant, ce lifestyle rural est accessible à tou·tes sur les réseaux sociaux. À nous les champs de blés, les tartes aux pommes maison, les paniers en osier remplis d'herbes ou de fruits mûrs ! La presse magazine, d'ailleurs, accompagne le mouvement : le journal Regain raconte depuis 2018 la vie des terroirs et de cette terre nourricière qui désormais nous passionne.

Il y a eu les hippies, les punks, les grunges, les hipsters… Le cottagecore est dans la continuité.

Le groupe Reworld Media sort ces jours-ci Neoruro, un magazine de témoignages de ces campagnards nouveau genre. Et Milk propose un hors-série entièrement dédié à ce nouvel art de vivre en pleine nature. Leur base-line : "Campagne, vivre au grand art." Tout un programme ! "Ce mouvement souligne notre envie d'explorer des chemins alternatifs à notre manière de communiquer, commercer, travailler… pour se reconnecter à la nature, à des rapports plus authentiques, plus vrais. Sortir des rythmes effrénés, prendre le temps de regarder ses tomates pousser, mettre de la poésie dans sa vie, restaurer des meubles anciens, retaper une longère… C'est une manière de reprendre le contrôle de sa vie, d'être plus autonome, de viser la vie en autarcie, tout en s'émancipant du système de consommation de masse et de ses dérives", constate encore Feriel Karoui.

C'est le choix que vient en tout cas d'embrasser Clémentine Lévy. La jeune femme rencontrait depuis plusieurs années un succès fou avec son café-fleuriste Peonies, au cœur du 10e arrondissement de Paris. Mais elle voulait renouer avec la nature, l'espace, le silence et l'horizon : « Avec mon compagnon, nous avons vendu notre appartement en région parisienne pour acheter un petit hameau en Mayenne, près de la Normandie et de la Sarthe, région d'origine de mon grand-père maternel.

"C'est un peu le syndrome Marie-Antoinette au Petit Trianon"

J'entends y développer mon concept et faire découvrir ma passion pour les fleurs aux futurs invités de notre hameau."Et elle est loin d'être la seule, même si les chiffres sont pour l'instant encore difficiles à quantifier. "On voit une jeune génération qui s'installe à la campagne pour développer des entreprises qui surfent sur ce fantasme de pleine nature, indique Feriel Karoui : gîtes ruraux, espaces de coworking au calme, stages de yoga au vert, formations en permaculture ou initiation à la vie de la ferme…" Ces jeunes gens ne se privent pas, d'ailleurs, de faire la promotion de leurs activités rurales à coup de posts léchés, nourrissant encore et encore le fantasme country.

On voit une jeune génération qui s'installe à la campagne pour développer des entreprises qui surfent sur ce fantasme de pleine nature

Le cottagecore peut-il s'apparenter à de la publicité mensongère ? "Attention, c'est une version "romantisée" de la vie rurale, souligne Nathalie Damery. C'est un peu le syndrome Marie-Antoinette au Petit Trianon. On est loin du malaise exprimé par les Gilets Jaunes. Le mouvement ne raconte pas les difficultés de la vie campagnarde, espace parfois sans pôles culturels, sans service public… Et puis c'est tout de même l'apologie de l'entre-soi, du repli sur la famille, les amis, le village."

Bref, comme le dit Clémentine Lévy, "il y a aussi un gap entre l'image renvoyée par Instagram des week-ends entre copains au vert et la vie dans une maison à la campagne à l'année. C'est beaucoup de travail, d'entretien, il y a toujours quelque chose à faire." Cette rudesse, aucun post Instagram ou vidéo TikTok ne la laisse en effet entrevoir. Tout n'est que sérénité et "bliss", ou le contentement profond d'être en phase avec soi-même. Au milieu de ces images finalement très codifiées, donc normatives, une question affleure : le cottagecore serait-il réac ?

Le cottagecore ou le rêve d'un safe-space

Ce fantasme de la vie dans les champs comme sortie duXIXe siècle, "qui ne pense qu'à fuir la modernité et à renouer avec un monde englouti d'avant l'obsession pour le progrès et la technique", dixit Nathalie Damery, serait-il dangereux et rétrograde ? Peut-être s'il ne consiste qu'à être "dans le rejet et l'entre-soi", souligne-t-elle.

Il s'agit de prêter attention à la beauté de la nature et du bonheur des choses simples. 

Mais c'est un mouvement paradoxal. "Dans le cottagecore, il s'agit de prêter attention à la beauté de la nature et du bonheur des choses simples, décrypte Feriel Karoui. Les communautés LGBTQ+ disent aussi y trouver des espaces où il y a peu de haine, dits “safe spaces” ou endroits sûrs, où les discussions sont finalement très tournées vers les recettes de cuisine, les jolies photos de chapeaux de paille ou les bons sentiments". Certes, c'est un peu kitsch. Peut-être un peu simpliste, parfois.

Mais qui ne rêve pas de laisser tomber son portable et ses notifications incessantes, les villes bétonnées, les transports surchargés, les supermarchés bondés pour se mettre au vert ? L'avenir nous dira si ce rêve n'était qu'un feu de paille. D'ici là, ressortons nos sabots et nos robes paysannes !