Le « remaniement » gouvernemental en France
Lundi 8 janvier 2024, la Première ministre française, Mme Élisabeth Borne, présentait sa démission au président de la République, M. Emmanuel Macron. Le lendemain, le chef de l’État procédait à la nomination de M. Attal comme nouveau Premier ministre. Deux décrets présidentiels des 11 janvier et 8 février sont venus fixer la composition du nouveau Gouvernement.
Dans cette séquence politique, le Parlement français n’a joué qu’un rôle très limité. D’abord, la démission de Mme Borne ne résulte pas d’un vote de défiance de la majorité parlementaire, mais de la volonté du chef de l’État. Sa lettre de démission révèle qu’elle a été remerciée par M. Macron qui souhaitait, en procédant à la nomination d’une équipe nouvelle et rajeunie, donner un « nouvel élan » à son quinquennat après une année 2023 marquée par l’adoption difficile de la réforme des retraites et de la loi « immigration ».
Ensuite, le Parlement n’est formellement intervenu à aucun des stades de l’entrée en fonctions du Gouvernement, qui procède en France du chef de l’État. Ainsi, lors de sa formation, un nouveau gouvernement n’a notamment pas besoin d’obtenir un vote de confiance parlementaire. Confronté à une majorité relative, M. Attal s’est d’ailleurs bien gardé, à l’issue de sa déclaration de politique générale du 30 janvier, d’engager la responsabilité de son gouvernement devant les députés.
En France, le Gouvernement est donc une structure exogène au Parlement, qui n’exerce aucun contrôle, notamment déontologique, sur ses nouveaux membres. Ajoutons que l’article 23 de la Constitution interdit aux ministres d’exercer un mandat parlementaire. C’est pourquoi la dimension déontologique de ce « remaniement » doit-elle plutôt être recherchée du côté des organes de l’exécutif, plutôt que de celui du Parlement.
À cet égard et depuis l’affaire « Cahuzac » de 2013, les contrôles déontologiques pesant sur les membres du Gouvernement se sont considérablement renforcés. Ces contrôles peuvent se dérouler à deux moments : avant ou après la nomination.
En amont de la nomination, la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique permet au président de la République de solliciter auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, qui est une administration indépendante (HATVP), de l’administration fiscale et du ministère de la Justice des informations diverses afin de (tenter de) prévenir les « erreurs » grossières de « casting » : candidats en situation de conflit d’intérêts, irrégularités de la situation fiscale ou condamnations judiciaires pour crimes et délits. Ces contrôles sont facultatifs et, quel que soit leur résultat, le chef de l’État reste maître de la décision de nomination.
En aval de la nomination, les contrôles déontologiques sont systématiques. La loi (ordinaire) du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique prévoit que les membres du Gouvernement « exercent leurs fonctions avec dignité, probité et intégrité et veillent à prévenir ou à faire cesser immédiatement tout conflit d’intérêts ». Elle instaure à cet effet une série d’obligations et de contrôles déontologiques, éventuellement sanctionnés par le droit pénal : d’abord, tous les ministres font dès leur nomination l’objet d’une vérification de leur situation fiscale. Ensuite, des déclarations de situation patrimoniale et d’intérêts doivent être déposées dans les deux mois suivant la nomination à la HATVP, qui les publie sur son site Internet. En cas de suspicion d'infraction pénale (omission substantielle, sous-évaluation du patrimoine, etc.), la HATVP peut saisir le parquet. Dans les deux mois suivant la fin de leurs fonctions, les ministres transmettent une nouvelle déclaration de situation patrimoniale à la HATVP qui, en cas de variation inexpliquée du patrimoine, peut saisir le juge pénal.
On observera pour finir que malgré les progrès récents de la « moralisation » de la vie publique en France, les critères politiques (la compétence) l’emportent toujours sur les exigences déontologiques (la vertu) dès lors qu’il est question de la composition d’un gouvernement. Ainsi, la mise en examen (en 2021) de Mme Rachida Dati pour « corruption passive » dans l’affaire Renault-Nissan n’a pas empêché sa nomination dans le Gouvernement Attal comme ministre de la Culture.
Rédigé par : Elina Lemaire, Professeur de droit public à l’Université de Bourgogne, membre du CREDESPO, ancienne vice-présidente de l’Observatoire de l’éthique publique