Jeudi 22 février 2024
Salutations cher lecteur !
Souvent, c’est au bord de la mer que je trouve le réconfort.
Pourtant, l’idée d’habiter au quotidien face à la mer me terrifie, et me permet de me préserver d’une vie poétique fantasmée et détestée, une fois l'été venu.
Bercée d’une mélancolie vertigineuse, je n’arrivais pas, tout à l'heure, à exprimer par les mots ce que je ressentais.
Bien que je semble vénérer le discours, le fameux Logos, je pense que tout ce que j’écris, tout ce que je dis, tout ce que je partage, ne sont que vidange et logorrhée, pour :
me donner une contenance,
me rappeler que je suis en vie,
dire que j’existe,
croire que j’existe,
donner un sens à la vie,
vaincre l’angoisse en nommant les choses,
et caetera
Malgré cela donc, le plus beau, le meilleur des discours, restera incontestablement et indubitablement le Silence…
Parce qu’elle a cette vénérable et naturelle capacité de nettoyage, de vidange, de purge, la mer (”qu’on voit danser, le long des golfs clairs…” ouais, c’est systématique, ça trotte dans la tête…), la mer donc, a ce pouvoir de purification.
Ce haut lieu purgatoire me fascine toujours et, je tenais à lui dédier ce petit billet hebdomadaire, tandis que mon vague à l’âme croissant et incessant me soustrait à l’ataraxie.
Cette dernière, je le sais, ou tout du moins je l’espère, sera reconquise.
En attendant je tangue mais ne coule pas : “Fluctuat nec mergitur”.
En effet, alors que je classais des photographies personnelles dans un album hier soir, poussant toujours plus loin le besoin de nostalgie, lorsque les douves de mon château, for intérieur combles de larmes, me laissent seule, cuvant Tristesse et Spleen, jusqu’au prochain rayon de ciel bleu, qui assèchera mon Nil, je constatais qu’il y avait beaucoup de photos de mon couple, au bord de l’eau, et plus encore au bord de la mer.
Prendre des photos de soi en guise de souvenir lorsqu’on va à la plage, rien de bien original me direz-vous ! Mes images favorites ne sont pas celles qui servent de souvenirs, car, j’y reviendrai probablement un jour, la photographie ne sert pas uniquement à fabriquer des souvenirs, non, les images qui me plaisent le plus parmi celles-ci, sont des instantanés dont je connais le sous-texte, la légende, qui dit “c’était dur, mais on l’a fait”!
Bien souvent, en effet, avec mon mari, aller à la mer a été synonyme de récompense, ou alors de besoin.
Besoin de résolution de problème, de situation difficile.
La mer qui défait les noeuds, Sainte Mer qui nous marie à Dieu.
Culturellement je suis “maritime”, plus que montagnarde (même si j'adore les sports d'hiver !), en témoigne mes origines natales (née en Algérie, donc comme beaucoup là-bas, non loin de la mer, de parents ayant vécu et grandi tous deux les pieds dans l’eau, et de grands-parents maternels nés à Thalassa… qui signifie en grec : la mer !), et maritime, je le suis de par le département où je réside, et où j’ai grandi : la Seine-maritime (76 représente) !
Je n’avais donc rien à dire, pas envie d’écrire, ou plutôt envie de bien décrire le sentiment et les sensations intenses et particuliers que je vivais.
Je ne voulais pas les mots, je n’avais pas les mots, ou alors je les trouvais vides, plats, sans relief…
J'avais cependant plusieurs images en tête et je me disais que si je ne parvenais pas à écrire ce que je ressentais, ce que je vivais, je pourrais probablement le faire en le dessinant !
Sauf, que, bah je ne sais pas dessiner, ou en tout cas, pas aussi bien que j’aimerais.
Mais pourtant, je savais que j’avais besoin de décrire mon état, que la couleur, les formes m’y aideraient, et pour cause, j’avais seulement envie de faire l’autruche, de me boucher les oreilles, non pas pour ne plus rien voir ni entendre, mais pour voir et entendre autre chose, quelque chose de plus grand, d’infini, qui me sorte de cette insularité fortifiée (tu l'as vue la métaphore filée ?).
Le bleu m’appelait, l’image de l’autruche aussi, et surtout celle de la coquille vide…
Voilà comment je me sens depuis plusieurs jours, cette coquille vide qui flotte, désespérément, qui vogue, tant bien que mal, et qui doit souvent écoper l’eau toute lacrymale, en évitant les lames.
Ennemi intérieur et ennemi extérieur : l’eau, pourtant source de vie, devient le terrain d’une lutte terrible pour l’homme, mais pas seulement.
Ainsi, ayant vraiment abandonné l’idée d’écrire pour le moment, je prépare mon papier à dessin, mes pinceaux, et mon aquarelle…
Evidemment, aucun autre media, aucune autre peinture ne peut représenter mieux que l’aquarelle, l’eau, surtout si la matière est diluée à l’eau de mer.
Je n’ai pas fait de recherche là-dessus, mais je pense que nous avons tous à disposition, non à titre de constitution, de l’eau de mer.
L’étymologie de humain, est en latin : humus, qui signifie terre… mais est-ce au sens de terre, versus mer ? au sens de gadoue ? ou bien Terre versus Mars / Lune / Jupiter, etc. ? parce que si l’humain vient de la terre, je peux vous dire que d’après moi il vient de la Terre, et je pense que humain = terrien, puisqu’il contient en lui, un élément constitutif majoritaire de la planète bleue : l’eau, mais pas n’importe quelle eau : l’eau de mer…
J’aime croire qu’une partie de l’océan terrestre coule dans nos corps…
Je réfléchis donc à comment “catharciser” mon état, comment exprimer, sans les mots, qui ne me venaient pas, ce que je ressentais.
Immédiatement, je pensais à la Baleine, la grande baleine qui plonge dans l’immensité de la mer.
A peine me suis-je mise à peindre, que je me sentais mieux, en cours de travail, la baleine ressemblait plus à un ange sans tête !! (les nageoires de queue de la baleine, ayant la même allure que les ailes d’un angelot, amis du symbole, bonjour !).
Dès que l’idée de la baleine m’est apparue, non pas que je ne veuille pas peindre d’autruche, mais en l’occurence, je voulais plonger, quitter un monde pour en rejoindre un autre, j'ai pu recommencer à penser de manière constructive...
Dans cette peinture (sans talent, je le sais bien, mais l’art, notamment pictural, et particulièrement l’aquarelle, tout comme la poterie, ont de très grandes vertus thérapeutiques sur moi), je me sentais propulsée, dans ma petite coquille de noix vide, mais d’où j’avais une vue imprenable sur Santiago et Manolin, puis sur Moby Dick, et enfin sur Martin Eden…
Immédiatement, me sont venus à l’esprit, en plus du poème dont je titre cette lettre de son alexandrin initial, toutes ces histoires, tous ces textes, et donc tous ces mots qui font la part belle à la mer.
Voilà, je pouvais par l’intermédiaire de la mer, qui me fait du bien dans ces moments-là, ne pouvant m’y rendre dans l’immédiat, transiter par les auteurs qui en ont si bien parlé, pour m’apaiser et ressentir les mêmes sensations que lorsque je suis sur la plage, que je m’installe pour le programme intensif et attends de la mer qu’elle me polisse comme elle le fait inlassablement de la roche à ses pieds.
Alors oui, du coup (je sais ce n’est pas du bon français de dire, ou plutôt d’écrire “du coup”, mais moi j’aime bien, et fût un temps, où je m’efforçais de le remplacer, et ça donnait des trucs terribles, du genre “conséquemment”, “par conséquent”, et moi, je trouve que le mot “conséquent”, bah il fait peur “les conséquences”, sont-elles toujours d’un drame ?), bon… heu… oui du coup, en fait, je repensais, grâce à mon petit dessin de baleine, d’abord à ce poème dont je crois connaître uniquement la première strophe par coeur :
Homme libre, toujours tu chériras la mer !
La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer.
Au-delà du fait que cette première strophe est très jolie, très bien écrite, très baudelairienne (il s'agit de L'Homme et la mer, de Charles Baudelaire, "Spleen et idéal", Les Fleurs du mal, 1857), moi avec mon histoire de baleine, je n’arrêtais pas de penser à Ernest Hemingway, c'était lui, cet homme libre, qui chérissait toujours la mer !
Je pensais à lui, parce que je crois que le seul livre que j’ai lu de lui (ouais le seul, et alors !? Je compte en lire d’autres, maintenant que je le lis aisément dans le texte, ce qui n’était clairement pas le cas quand j’étais gamine), c’est, comme beaucoup : Le vieil homme et la mer, 1952 et surtout je m’en souvenais, au même titre que de Moby Dick, publié en 1851, de Herman Melville, à cause de leurs illustrations (et donc j’imagine naïvement) de leur histoire.
J’avais adoré lire Le vieil homme et la mer, j’étais enfant, et je me souviens d’illustrations, ou alors d’imagination très précise née de ce que je lisais.
Avant d’écrire cette lettre, je me suis donc donné pour objectif de terminer mon aquatique aquarelle, puis de relire le Vieil homme et la mer, ou plutôt de le lire, pour la première fois en version originale.
Quel plaisir, de lire The Old Man and the Sea, dans cette édition qui étrangement me rappelait quelque chose, c’est une version illustrée, en version originale, certes, mais peut-être que j’ai eu entre les mains la version française, avec les mêmes illustrations - Les dessins n’ont pas besoin d’être traduits d’une langue à une autre… Est-ce là un langage plus universel que celui de la parole ? Manifestement oui…
Je lisais donc le livre jusqu’à la moitié, me disant, qu’il ne fallait pas que je rédige ma newsletter du jour juste après avoir terminé la lecture. En effet, je ne pouvais savoir dans quel état émotionnel me plongerait cette lecture, et sachant que je rédige toujours au “dernier moment” mes courriels du jeudi, tout comme les scripts de mes podcast du lundi, il ne fallait surtout pas prendre de risques émotionnels imprévisibles, et devoir reporter ou annuler la publication de cette lettre.
Je me délectais donc de ma lecture, et pour être tout à fait honnête avec vous, je suis bien contente de m’être immédiatement jetée dans la lecture de ce livre, qu’enfant j’avais adoré, puis plus tard, n’avais vraiment pas compris ce qui était si “génial” là-dedans, et pourquoi tout le monde s’extasiait dessus.
Si je n’avais pas plongé dans le projet Gutenberg (site grâce auquel toutes les oeuvres versées au domaine public sont disponibles gratuitement et lisiblement !), il y a fort à parier que j’aurais plongé dans l’histoire, l’affaire , ou la "malédiction Hemingway" comme j’aime l’appeler.
J’ai en effet un côté un peu “badaud” (et un peu “badass” aussi, mais ça n’est pas le sujet), j’aime les histoires étranges, mais vraies, et surtout j’ai une passion pour la psychologie humaine, et donc tout ce qui concerne les troubles psychiatriques, ou en tout cas certains.
Aussi, je me souvenais qu’il y avait la malédiction Hemingway. Je me suis retenue tout à l’heure de faire des recherches à ce sujet, et je ne le ferai pas, parce que je préfère me dire que dès que j’aurais envoyé cette lettre, je pourrai terminer Le vieil homme et la mer, (re)commencer Moby Dick, et m’interdire catégoriquement la (re,re,re) lecture de Martin Eden, de Jack London, 1909, quoiqu’elle soit très tentante, mais justement, dont il faut savoir se prémunir !
Quant à la “malédiction” Hemingway, je ne m’éterniserai pas dessus, et je suis bien contente d’avoir pensé à lui, pour son texte, son prix Pulitzer, son Nobel de littérature, et ses aventures parisiennes, mais pour ceux, qui sont curieux comme moi sur ce genre de sujet, sachez que quasiment tous les descendants et son père avant lui, se sont suicidés. il semblerait que Hemingway souffrait de bipolarité, dont l’hérédité semble être prouvée par ce marquant-là, très marquant !
Bon un autre truc plus fun, mais encore bizarre / étrange, et très caractéristique de Hemingway : sa passion pour les chats polydactyles…
Oui, depuis qu’on lui offrit un chat polydactyle (qui a plus de doigts que la normale), il en a eu plein d’autres, à tel point qu’aujourd’hui on désigne cette espèce de chats sous le nom de Hemingway ou Hemingway cat.
Un passage m'a particulièrement frappée et a vivement vibré en moi à la lecture tout à l'heure des aventures de Santiago à bord de son bateau de pêche, ce style particulier, en uppercut (je n'arrive pas à lire Hemingway sans pensé à toutes les "bastons" qu'il a eues, et bien souvent déclenchées, dans les bars, notamment dans sa période parisienne), donc ce style, cette écriture combative, rude, rêche, est si poétique lorsqu'il fait parler le vieux (le vieil homme), et que ce dernier parle d'elle comme d'une femme, et comme pour les femmes, il y a différentes manières de les chérir, et de les défier, je laisse place à l'artiste, en version originale :
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"He always thought of the sea as la mar which is what people call her in Spanish when they love her. Sometimes those who love her say bad things of her but they are always said as though she were a woman. Some of the younger fishermen, those who used buoys as floats for their lines and had motorboats, bought when the shark livers had brought much money, spoke of her as el mar which is masculine. They spoke of her as a contestant or a place or even an enemy. But the old man always thought of her as feminine and as something that gave or withheld great favours, and if she did wild or wicked things it was because she could not help them. The moon affects her as it does a woman, he thought."
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Voici pour les non-anglophones une proposition de traduction de ma part :
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(la scène se passe du côté de Cuba, donc où on parle espagnol, là où Hemingway a vécu un certain temps, et où il pêchait)
Il a toujours songé à la mer comme al mar, comme l’appellent en espagnol les gens qui l’aiment. Parfois, ceux qui l’aiment en disent du mal, mais toujours comme s’il s’était agit d’une femme. Parmi les jeunes pêcheurs, ceux qui se servaient de bouées comme flotteurs de lignes et avaient des bateaux à moteur, qu’ils avaient pu acheter lorsque le foie de requin leur avait rapporté gros, certains parlaient d’elle comme el mar, au masculin. Il parlaient d’elle comme d’un rival, d’un lieu, ou même comme d’un ennemi. Mais le vieil homme l’avait toujours perçue au féminin et comme quelque chose qui permet ou empêche de grandes faveurs, et si elle se déchaîne ou paraît diabolique, c’est parce qu’elle ne pouvait pas s’en empêcher. La lune a ses effets sur elle, comme sur une femme, pensa-il.”
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Ce passage est vraiment magnifique !
Peut-être vous aurais-je donné envie d'aller à la mer, de lire Hemingway ou Melville, ou encore de peindre à l'aquarelle. Vous pouvez m'envoyer vos dessins si c'est le cas !
Je vous joins à cette missive, ma baleine plongeante, en guise d'illustration, et vous remercie pour votre lecture, n'hésitez pas à me faire vos retours sur cette lettre ou les précédentes, j'aime recevoir vos avis, et tente de vous répondre toujours le plus rapidement possible.