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Penser pour panser les liens

lettre #mars 2022 - le jeu des possibles <img height="22" src="https://static.wixstatic.com/media/5e9922_6047ac2b0fe24f88bcf6fa54fdde792e.png_256" width="22"> 

" Privée de la sagesse l'intelligence peut mettre au monde des monstres.

Privée de la miséricorde,  la rigueur et la force peuvent être dévastatrices. »

Annick de Souzenelle, ln le symbolisme du corps humain, p.300, Albin Michel

 

 

Le nœud gordien

 

Travaillant à l'élaboration d'une prochaine formation sur les Liaisons et les Déliaisons de l'Attachement, je découvre que ce verbe est emprunté au latin " mettre à part" au propre et au figuré, composé de "se", marquant la séparation (séduire) et de parare, (préparer, arranger). Parare signifie "procurer" et par spécialisation "faire naître." Par évolution, Separare a abouti en français à "sevrer."

En bref, "se séparer," c'est revenir à l'acte qui donne vie pour aboutir au sevrage. C'est "faire cesser d'être ensemble ou de former un tout" c'est-à-dire sortir de la fusion.

Au pronominal, le verbe signifie "se diviser en plusieurs éléments".

 

Dans la pensée émotionnelle, c'est également  "perdre quelqu'un ou quelque chose." Une angoisse forte comme un étau qui prend certains à la gorge. Leur description des ressentis corporels est édifiante : l'idée d’être séparés signifie pour ces personnes "être arrachées." Cela rappelle bien entendu le tout petit enfant qui refuse de quitter  les bras de sa mère. Comme si être "coupé" de l’autre revenait à être mutilé, privé d’une partie de soi-même. Nous touchons ici l'angoisse de l'abandon, l'angoisse d’amputation, de castration, de séparation.

Mais qu'est-ce qui doit "se séparer", se dénouer ? Du point de vue psychologique et affectif, la question n’est pas simple. Et pourtant, il nous faut tout de même tenter d’y répondre si l’on souhaite comprendre ce qui, dans certains cas, ne réussit pas, justement, à se dénouer.

Ce qui peut être mis en action (l’agir), ce qui s’entremêle des histoires individuelles professionnelles et familiales de chacun, mais aussi des désirs et des fantasmes des uns et des autre, c'est un sacré sac de nœuds ! 

Le « nœud gordien » désigne un problème pratiquement insoluble. Ce mythe parle de l’intériorité de l’homme et pas de son histoire extérieure. Un nœud, n'est-ce pas également un anneau : signe d’alliance ? 

Qu'est-ce qui fait confection du tissu de la  "liaison" ? qu'est-ce qui fait la solidité de ce nœud que le mythe nous décrit comme " attachant le joug au timon, et qui était si habilement enlacé qu'on ne pouvait en apercevoir les bouts ? "

D'un point de vue analytique, il est commun de dire qu’il y a toujours quelque chose de "l'alliance" qui est raté. Une façon simple de le comprendre est de considérer que l’autre avec qui je fais "pacte d'alliance" ne correspondra jamais tout à fait à l’autre idéalisé, ou dit autrement aux représentations que j'ai dans la tête. Nous nous mettons en scène en fonction de nos attentes conscientes et inconscientes, de nos désirs et fantasmes, mais aussi à partir de notre histoire singulière. Et puis, chacun va potentiellement déployer son propre récit de vie tout en acceptant de s’accommoder partiellement du récit de l’histoire de l’autre. Les deux histoires se croisent, s’entremêlent, font "nœud" mais ne se recouvrent pas totalement. 

Heureusement car sinon une telle fusion

créerait une situation de dépendance folle que l’on retrouve parfois dans la version psychopathologique de la passion amoureuse. 

« Le sein n’est plus une partie de moi », c’est-à-dire, moi, l’enfant, ici passe de l’être (le sein) à l’avoir (le sein) – « l’avoir est, dit Freud, la relation ultérieure […] je l’ai, c’est-à-dire, je ne le suis pas » (Freud, 1938).

Le sevrage s'apprend à tout âge et nos vies sont aussi tissées paradoxalement de ces temps de perte, de manque, de frustration. Même malheureux, nous continuons d’exister et, surtout, de nous sentir exister ; nous gardons notre intégrité car, en réalité, il n’y a pas arrachement d’une partie de nous-même, pas d’amputation. Par contre, nous sommes amenés dans ces épreuves à ôter la "tunique de peau", c'est-à-dire ce qui fait illusion.

Se séparer, c’est toujours perdre quelque chose. Perdre un idéal. Pour certains, il s’agira de perdre l’idéal d’une famille unissant les parents et les enfants issus de leur amour. Et même si d’aventure certains parviennent à reconstruire, ou à recomposer comme on dit, une famille, cette famille-là ne viendra jamais, pour un certain nombre d’individus, qu’en lieu et place de celle qui demeure perdue.

Comme le père doit venir aider la mère à défusionner de son enfant, l'écart entre ce que chacun projette sur l’autre, ce qu’il croit trouver en l’autre et la réalité du partenaire doit être entretenu.

La perte d’un idéal, c’est la souffrance qui vous frappe, qui vous tombe dessus brutalement. Mais il me semble important de ne pas confondre souffrance et épreuve. Ce qui peut faire racine, c'est bel et bien cette épreuve. Nous allons pousser  (grandir) à l'intérieur de nous-même avec elle, vivre le verbe "séparer" dans son sens pronominal : se diviser comme le fait la racine en laissant pousser ses rameaux.

L'épreuve est une séparation, un sevrage, un passage. Qui nous permettra d'intégrer ce qui ne l'est pas encore.

Sevrage, dans son sens de mettre à part ou de mettre une distance, éloigner et s’éloigner, former une limite, s’envisage dans une double dimension, celle de l’objet et du sujet. En revanche, dans son sens d’interposer, il en installe une troisième ou un troisième, un autre qui s’entremet, pose une limite, ordonne la censure, c’est-à-dire un tiers séparant-séparateur investi de cette fonction. Celui et celle qui sait comment se fait un noeud sait aussi comment le défaire, et le refaire : il détient le secret du pouvoir de sa créativité.

 

 
Liaisons et déliaisons de l'attachement
 

Le pied enflé d'Œdipe

 

Sans frémir aux mauvais souvenirs de ses accidents, ce patient m'apprend qu'il s'est cassé plusieurs fois le pied, puis enchaîne sur la blessure de son talon.

Me vient alors la fameuse énigme de la Sphinge qui illustre le cheminement de l'Homme dans la vie par le thème du pied :

Quel est l’être qui se déplace à la fois

sur deux pieds, sur trois pieds

et sur quatre pieds ?

Et la célèbre réponse d'Œdipe aux pieds mutilés qui lui permet d'entrer et d'incarner son destin : l'Homme.

Qui sont les hommes dont les pieds racontent l'Histoire et que me disent-ils? Eurydice court dans les fleurs de l'amour au bras d'Orphée quand un serpent la mord au talon.

Les pieds d’Achille constituent à la fois sa supériorité, en lui permettant de l’emporter sur tous les autres, alliés ou ennemis,  mais au seul défaut de sa cuirasse, par le talon non protégé, son énergie vitale s’écoulera.

Quant à Œdipe, son nom offre aussi une étymologie significative, puisqu’on retrouve dans Οἰδίπους le verbe οἰδέω-ῶ, « se gonfler, s’enfler », et πούς, « le pied » : il est donc « l’homme aux pieds enflés », parce qu’ils ont été percés et liés par son père au moment où l’enfant fut abandonné sur le Cithéron. 

 

Mon patient a longtemps cru qu'il était un héros, un être d’exception, presque semblable aux dieux ; mais c’est par le pied qu’il rejoint la condition mortelle et retrouve la faiblesse inhérente à la nature humaine.

Grand "diseur de riens", ce patient est en grande difficulté, en proie à de sévères addictions. Aujourd'hui tombé " à terre ", sa perte de faculté de déplacement correspond à une rupture brutale dans sa destinée et à la déchéance du héros : il n’est plus qu’un invalide psychique, épuisé physiquement et financièrement, telle l'épave abandonnée sur le rivage de Lemnos.

Dans le monde épique où force et beauté sont les normes obligées du héros, où la noble apparence est forcément le signe extérieur de la haute valeur morale de l’individu, ce patient ne se reconnait plus et n'est plus reconnu par les autres. Il (s')est démasqué. Mais cela résiste dans la définition : il s'’affirme boiteux, et non malade. Comme le chante Sophocle dans le Chant II de l'Iliade :  Il vit seul, loin de ses semblables. » Cela n'empêche en rien sa souffrance qui irradie tragiquement de son discours.

Or, l’être humain en pleine possession de ses forces, et particulièrement le héros épique à vocation guerrière, se doit de présenter un corps droit, à la colonne vertébrale solide, ne serait-ce que pour supporter l’armure et le poids du bouclier.

Aussi le pied est-il considéré à la fois comme la noblesse et la faiblesse de l’homme: lorsqu’il fonctionne normalement, il constitue une supériorité pour l’homme, l’instrument de sa liberté d’être animé et de ses activités essentielles.

Cette ambivalence du pied trouve son illustration la plus claire dans Achille, incarnation du héros épique qui peut être considéré comme l’image en négatif du handicap ; car non seulement il ignore et combat toute forme de tare, mais encore l’accomplissement de son essence héroïque l’amène à se révéler comme l’antithèse, la négation du handicap.

 

Jung dans Dialectique du Moi et de l'inconscient, Folio,  pp. 43,44, décrit cette inflation du Moi :

« Dans cet état, le sujet occupe un volume auquel il ne saurait normalement prétendre. Pour ce faire, il est bien obligé de s'approprier des qualités et des contenus qui, en réalité, sont situés à l'extérieur de ses propres frontières. Or, ce qui se situe hors de moi appartient à un autre être ou à plusieurs ou n'est à personne. (...) Ce faisant, je me suis attribué une extension et j'ai usurpé des qualités qui en aucune façon ne sont en moi, mais qui existent hors de moi et qui devraient y rester. «

Cette expérience imposée au patient a laissé un vide dans son enfance qui n'a jusqu'à présent pas pu être comblé. Cette situation a entraîné un refoulement de la libido qui n 'a pas trouvé à se projeter sur la personne absente. L’inflation grossière de la personnalité s'est exprimée par le désir de n’en faire qu’à sa tête et de ne désormais écouter d’autre que soi.

Du point de vue de l’économie psychique, cette absence d'autant plus impalpable que non nommée a provoqué la rupture du lien affectif concret, mais aussi, en quelque sorte, le retournement de la libido investie, qui n'a pas trouvé d’objet pour s’écouler. La tristesse, la douleur et l’angoisse, qu'a traversée cet homme quand il était enfant, bref la détresse créée par la perte, je l'associe à la nigredo, au chaos psychologique décrit par Jung dans la Psychologie du transfert.

La régression a entraîné une forme plus ou moins profonde de dépression bien ancienne et de culpabilité attribuée à soi ou aux autres ; elle s'exprime présentement également vers des penchants suicidaires (alcool).

« C’est donc un état d’absence de liberté, de guerre intestine, de désagrégation, d’écartèlement entre des directions opposées, et par conséquent un douloureux état de captivité qui aspire à l’unification, à la réconciliation, à la délivrance, à la guérison, c’est-à-dire à la totalité". 

Toute la thérapie va consister en la création de "la conjonction," c'est-à-dire l'étape de renaissance et d’individuation qui peut permettre au patient de revenir dans les eaux fortes de ce vide.

Comme Orphée qui tente de rejoindre Eurydice, cela peut ne pas marcher. Ce retour vers soi, aujourd'hui entravé par le déni, engendre une forme spécialement violente de refoulement. 

Toute renaissance, explique Jung dans la Psychologie du transfert, débute par une stase de la libido qui provoque chez le sujet une dépression, une démotivation et une apathie face à la vie.

Nous en sommes là.

 
La psychologie du transfert
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