Chers Lecteurs, Chères Lectrices,
Si vous n’avez pas encore écouté La Balado de la Semaine, je vous conseille de cliquer sur le bouton ci-dessus afin de mieux comprendre les propos que je vais tenir.
Cela vous rassurera aussi quant à ma santé mentale, puisque le sujet du jour, la mort, s’impose à moi du fait de la Balado, et n’est pas venu d’idées sombres que j’aurais eues sur le quai du métro. Bien que j’ai failli rater ma station lundi alors que je me demandais en regardant les passants s’il était légitime d’en vouloir aux personnes qui sautaient sous les rails du métro, cela ne m’est pas encore venu en tête de le faire moi-même. On peut se demander d'ailleurs, si on a le droit d’en vouloir à ceux qui se suicident. La vie leur est donnée et ils la rendent, comme un cadeau qui n’aurait pas plu. Il y a ceux qui sont très gentils et nous donnent toujours un ticket au cas où on voudrait le changer, et ceux qui sont foncièrement vexés, comme s’ils n’étaient eux-mêmes pas très contents du cadeau qu’est la vie, mais s’acharnaient quand même à le garder et trouvent injuste que tout le monde ne fasse pas de même : « C’est ne pas penser à ceux qui restent !» , disent-ils. Et pourtant, ce n'est pas ce que dit mon cours de Sociologie de la semaine, qui parlait de la mort, mais pas la naturelle, celle que l’on décide.
Godard l’a fait récemment, tout comme un autre homme que vous connaissez sûrement : Jean-Marie. Il avait accueilli mon père dans l’épisode 18 avec sa femme Chantal et était atteint de la maladie de Charcot, qui condamne peu à peu l’âme à être enfermée dans le corps. Je ne sais pas jusqu’ou Jean-Marie est allé dans le processus de dégénérescence du corps mais Chantal a mis mon père au courant le 13 septembre de son départ. Jean-Marie l’avait dit, son but était de pouvoir mourir dignement, et ce couple voulait que le suicide assisté soit légalisé en France. Il n’a pas eu à partir à l’étranger pour se donner la mort grâce à des personnes qui ont pris des risques pour lui, et l’ont laissé ne plus manger. Il a décidé de la fin de sa vie et je crois que c’était aussi ce que voulait Chantal, malgré, ou plutôt grâce, à tout l’amour qu’elle lui portait.
Cette maladie me fait penser aux textes que j’étudie en ce moment en philosophie sur le corps et l’âme, le Phédon de Platon notamment. L’âme est-elle distincte du corps ? Selon Platon, elle y est enchaînée à cause des sensations et des perceptions trompeuses, mais la philosophie peut l’aider à le fuir. Ce n’est qu’une image chez Platon, mais pour la maladie de Charcot, c’est réel. L’âme ne peut plus bouger, car le corps ne répond plus, elle peut s’évader dans des pensées, mais pas dans le monde concret. Jean-Dominique Bauby a écrit un livre où il se décrit comme un papillon enfermé dans un scaphandre. Une image bien plus poétique que celle de Platon. Ce journaliste atteint du locked-in syndrome (qui peut être lié à la maladie de Charcot) pouvait penser tant qu’il voulait, s'évader dans ses souvenirs et ses rêves, mais seule sa paupière gauche répondait à ses neurones. Il a écrit un livre avec cette paupière, ou plutôt en dictant son texte à une infirmière en clignant de l’œil quand elle disait la lettre qu'il voulait ajouter. Voilà ce qu’il a écrit « Autrefois, on […] en mourait en toute simplicité. Le progrès des techniques de réanimation a sophistiqué la punition. ». Quand la vie devient une punition, à quoi bon la subir ?
Voilà où la pensée du suicide intervient et avec elle mon cours de sociologie et l’analyse qu’en a fait Durkheim. J’aurais préféré le voir en Philosophie mais l’administration l’a refusé à ma professeure, probablement qu’ils devaient avoir peur des idées qui en découleraient. Tandis qu’en Sociologie, on ne se questionne pas tant soi mais plutôt la société. Durkheim distingue quatre types de suicide, j’en retiens deux : le suicide égoïste et le suicide altruiste. Quand Patricia Martin dit ne pas vouloir finir en lambeaux et Karen ne pas être dépendante de ses enfants, et donc être un poids pour eux, elles sont dans l’optique d’un suicide altruiste. Je m’ôte la vie pour permettre à d’autres de vivre la leur, pour ne pas faire souffrir. Durkheim nous dit que c’est dû à une grande intégration dans la société, on se sentirait même contraint par les codes sociaux. Tandis que Marco qui ne veut plus vivre quand il n’a plus d’envies, ou encore ceux qui se jettent sous le métro, car la vie leur est trop dure, font partie de ceux qui se suicident « égoïstement », nous dit Durkheim sans jugement de valeur. Plus assez intégrés à la société, ils s’ôtent la vie qui leur est insupportable et ne le font pas en pensant aux autres, auxquels ils n’ont plus d’attaches.
Pourtant je le trouve bien simple dans son analyse Durkheim, et même si sa méthode est très stricte - je fais un exposé sur le chapitre 2 de son livre et je peux vous dire qu’il a la rigueur qu’il me manque - je crois qu’il faudrait qu’il gagne un peu en sensibilité. Jean-Marie par exemple, que je n’ai pas connu mais entendu, comme vous, n'a pas semblé poussé à la mort, j’ai plutôt l’impression qu’il l’attendait, et qu'il en a eu marre de se faire poser un lapin. Alors il est allé la chercher directement, avec audace et force. Il pensait aux autres évidemment, à Chantal particulièrement, mais ce ne sont pas les codes sociaux qui l’ont poussé à se jeter à l’eau. Ni égoïste, ni altruiste, un peu des deux, il devait sûrement penser à lui et à sa douleur, mais aussi à sa femme. Pensons aussi à la grand-mère de Christina, visiblement précieuse et coquette, qui selon Christina, a choisi le moment de son départ, non pas parce qu’elle était trop intégrée à la société ou pas assez, mais parce que, comme le dit Christina, on lui refusait la vie qu’elle voulait, et elle ne s’est donc pas laissée faire.
Enfin, je crois que je n’ai pas bien compris Durkheim. J'ai encore assez de modestie pour penser que, entre le père de la sociologie française et moi, je suis celui qui me trompe. J’ai deux ou trois questions à poser à mon professeur !
J’aurais aimé vous parler encore de la mort et de la peur qu’elle suscite dans la société, mais je vais me faire trop long et sur un téléphone, on m'a dit que ce n’était pas très agréable à lire, alors ce sera peut-être pour une prochaine fois.
Je vais maintenant commencer à étudier mon texte du Phédon, sur l’âme coincée dans le corps et mon histoire de l’art, sur la représentation des morts au Paléolithique. En bref, une fin d'après-midi sous le signe du Soleil.
Merci de m’avoir lu,
Si vous avez des réflexions à me partager sur la mort et le suicide, avec un peu plus de recul que ce que j’ai, je serais ravie d’avoir une excuse un peu plus légitime que simplement passer du temps au téléphone afin de prendre une pause dans mes devoirs,
Bien à vous,
Léonard Pauchon