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L’objet du litige est donc un reliquaire, objet culte dans certains peuples d’Afrique, notamment chez les Bakotas au Gabon ou chez les Fang en Afrique centrale. Il a été acquis à distance en 2012 pour le prix marteau de 55 000 euros, soit plus de 68 000 euros avec les frais, par une galerie parisienne lors de la vente aux enchères organisée par la SVV Damien Leclère, aujourd’hui en liquidation judiciaire, au vu notamment des indications portées au catalogue de vente et du certificat d’authenticité établi par un ancien diplomate.

I.    Sur l’annulation de la vente aux enchères

La nullité de la vente pour vice de consentement. L’authenticité est la pierre angulaire dans les litiges relatifs aux ventes aux enchères. Aussi, les informations sur les lots figurant dans les catalogues de ventes, et notamment sa période d’origine, sont primordiales.
À ce titre, le décret « Marcus » du 3 mars 1981 sur la répression des fraudes en matière de transaction d’œuvres d‘art et d’objets de collection, instaure une méthodologie pertinente relative à la description des caractéristiques d’une œuvre.
Il ressort notamment de l’article 2 du décret que « La dénomination d'une œuvre ou d'un objet, lorsqu'elle est uniquement et immédiatement suivie de la référence à une période historique, un siècle ou une époque, garantit l'acheteur que cette œuvre ou objet a été effectivement produit au cours de la période de référence. Lorsqu'une ou plusieurs parties de l'œuvre ou objet sont de fabrication postérieure, l'acquéreur doit en être informé. »
Aussi, lorsque l’objet d’art ne correspond pas à la description faite par le commissaire-priseur au sein du catalogue de vente, l’adjudicataire insatisfait peut agir contre le vendeur en annulation de la vente lorsque son consentement a été vicié, notamment en cas d’erreur sur les qualités essentielles de l’œuvre, telle que l’inauthenticité de celle-ci.

En l’espèce, l’adjudicataire a émis des réserves auprès du commissaire-priseur sur l’état du reliquaire qui ne correspondait pas à la description du catalogue.

Après avoir fait expertiser le lot par un expert qui évoquait des matériaux modernes et une patine artificielle et par un laboratoire d’analyse qui a conclu que le métal utilisé était en cuivre pur à 99,5 % et ne pouvait pas correspondre « aux techniques métallurgiques traditionnelles africaines », il a sollicité l’annulation de la vente et le remboursement du prix de vente.

En première instance, le tribunal a débouté la galerie de ses demandes. Effectivement, l’adjudicataire avait dirigé ses demandes à l’encontre de la maison de vente qui n’est que mandataire du propriétaire du bien comme le précise l’article L. 321-5 du Code de commerce et qui avait révélé le nom du vendeur du lot litigieux. Ses demandes devant donc être dirigées contre le vendeur, ce qu’il fit en cause d’appel.

Des expertises privées formelles. La cour d’appel souligne que « le juge ne peut rendre une décision sur le seul fondement d’une expertise non contradictoire, tel n’est pas le cas lorsque celle-ci est corroborée par plusieurs éléments extrinsèques », les conclusions des expertises sont dans cette affaire sans appel : « L'analyse du matériau révèle les anomalies fondamentales qui indique que sa composition correspond à des techniques métallurgiques modernes et qu'il a subi un traitement de surface afin de simuler son ancienneté. Ces résultats sont incompatibles avec l'ancienneté présumée de l'objet.

L’œuvre présentée est une falsification récente qui ne peut en aucun cas avoir été offerte en 1920 au Gouverneur (…). »

C’est donc naturellement que la cour d’appel d’Aix-en-Provence juge que l’acquéreur, a été victime d’une erreur sur les qualités substantielles de l’objet vendu et prononce l’annulation de la vente.

II.    Sur la responsabilité de la maison de vente aux enchères

Les diligences des sociétés de vente aux enchères. En vertu de l'article L. 321-17 du Code de commerce et du décret « Marcus », les opérateurs de vente aux enchères et les experts qui les assistent engagent leurs responsabilités au cours des ventes aux enchères. Dès lors le commissaire-priseur qui affirme sans réserve l'authenticité de l'œuvre d'art qu'il est chargé de vendre, engage sa responsabilité civile délictuelle, étant tenu de ne donner que des informations exactes dans le catalogue de vente.

En l'espèce, il est reproché à la maison de vente aux enchères de ne pas avoir sollicité un expert spécialisé en matière d'art premier et d'art africain, compte tenu notamment de l’estimation élevée de l’œuvre d’art.
La cour reproche également au commissaire-priseur d'avoir manqué à ses obligations de vigilance puisque le certificat d'authenticité n'avait pas été établi par une personne indépendante mais par le vendeur lui-même. La cour fait donc droit aux demandes de l'adjudicataire et prononce le remboursement du montant des honoraires perçu ainsi que des frais d'expertise.

Sur l’évaluation des préjudices. La cour est cependant contrainte de rejeter les demandes indemnitaires de la galerie constituées notamment par son préjudice financier résultant de la perte de chance de ne pas avoir acquis un objet, s'estimant insuffisamment renseignée sur l'évaluation du reliquaire s'il avait été authentique. Les juges ne peuvent en l’espèce déterminer un préjudice financier indemnisable et estiment également que le préjudice moral de la galerie n’est pas justifié.

Sur l’erreur excusable de l’adjudicataire professionnel. Naturellement, l'erreur inexcusable de l'acquéreur professionnel était invoquée par les intimés. Cette notion alimente très régulièrement les débats judiciaires lorsqu’est sollicitée l’annulation de la vente.

Dans cette affaire, la cour considère que la galerie adjudicataire, qui avait acquis le lot litigieux à distance, n'a pas commis d'erreur inexcusable car elle n'avait pas pu examiner l'objet avant de l'acquérir et considère en outre qu'elle n'est pas spécialiste de ce type d'objets très particulier. Elle observe enfin que la maison de vente aux enchères avait produit un certificat d'authenticité établi par un diplomate sans révéler au moment de la vente que ce dernier était également le vendeur du reliquaire litigieux.

La cour réaffirme ici une position classique de la jurisprudence en matière d’acquéreur professionnel non spécialiste de l’objet acheté. Cet arrêt s’inscrit dans la lignée de décisions rendues par la cour d’appel de Paris les 14 et 21 mai 2019 qui avait jugé que l’acquéreur même professionnel, n’était pas tenu à « faire avant la vente toutes les recherches d’origines qui incombent précisément au commissaire-priseur et à son expert, dont il n’est pas justifié la réalisation par ceux-ci » (v. not. CA Paris, pôle 2, 1re ch., 21 mai 2019, n° 17/13909).
 

Auteur : Béatrice Cohen, Avocate au Barreau de Paris, Cabinet BBCAVOCATS

Réf. CA Aix-en-Provence, 31 janvier 2023, n° 19/10994
 

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