Chers Lecteurs, Chères Lectrices,
Finalement, je crois que je ne veux pas faire d’études. Tout claquer, laisser tomber, découvrir des livres et des artistes, me balader dans Paris et rencontrer des gens, vivre une vie mondaine digne de Marcel Proust qui restait dans son lit la journée et partait explorer des mondes littéraires la nuit, sur du papier ou dans des salons, voilà ce qui me fait rêver aujourd’hui ! Partir dans un couvent comme Sophia, interviewée dans la Balado de la semaine ( je vous mets un bouton en bas de la gazette pour l’écouter si ce n’est pas encore fait, et pour les moins technophiles d’entre vous ) me semble être une option intéressante, mais à laquelle je ne résisterai guère. J’ai fait l’expérience en 4ème de faire une grève de la parole pendant une journée et il ne m’a pas fallu plus d’une heure pour perdre mon sourire. Je pourrai écrire vous me direz, mais je crois que je préfère parler. C’est une envie plus soudaine, spontanée et que j’arrive moins que Sophia à contrôler. Enfin, il m’arrive aussi d’être cueilli par l’écriture, mais il faut pour l’écouter, être dans un environnement solitaire, et c’est plus rare. C’est pour cela que je ne sors pas de chez moi le dimanche avant de vous avoir écrit. J’attends l’écriture.
En l’occurrence aujourd’hui, c’est une envie de m’évader et un état d'excitation qui m’ont poussé à sortir de mon lit - depuis lequel je préparais un exposé, ne vous méprenez pas ! Je travaillais sur David Hockney, le deuxième artiste vivant vendu le plus cher au monde. Et bien figurez-vous que son travail est fascinant. Il peint les hommes qu’il aime. Depuis son départ à Los Angeles dans les années 60, quand son Angleterre natale n’aimait pas bien les hommes de son genre, il a découvert l'amour et les piscines américaines. Il s’est mis à les peindre nuit et jour. C’est ce qui le rendait heureux, lui, de jouer avec les couleurs pour dessiner des paysages, et montrer notre temps depuis son œil coloré. Ce départ furtif est bien excitant et saurait me tenter, mais pour quoi faire je ne sais pas. La contrainte est féconde et les études sont une contrainte.
Tout comme la rigueur religieuse de Sophia la fait se recueillir en elle et la dirige, me plonger dans les études serait peut être un moyen de devenir l'homme que je suis censé devenir. Il ne faut toutefois pas céder à la dictature des devoirs à rendre et se plier sous la pression de la réussite. Je vous l’ai dit la semaine dernière, je refuse de tout donner aux études supérieures. Bien que, depuis, j’ai eu le temps de remettre en question cette décision, de prendre peur, de déprimer le matin dans le métro, d’être épuisé par la densité des cours et surtout par le temps difforme. C’est mon grand problème en ce moment, je ne dirais pas que je suis à la recherche du temps perdu, mais je ne comprends pas où il passe et cela me prend au cœur. Lundi, j’essaie de travailler sans succès et nous sommes déjà vendredi avec tous les cours à reprendre pour ne pas être largué. Sur ce point, le discours de Sophia m’a plu. S’accorder le droit de ne pas être à jour de ce qui se passe dans le Monde, tout faire taire autour de soi pour ne plus qu’entendre ce que l’on a à dire au plus profond de nous. J’ai sûrement peur de ce que j’entendrai. Donc, je me laisse noyer par tous les devoirs annoncés et je les regarde complètement perdu, sans avoir, à part le dimanche, le temps de penser.
Ma mère va encore dire que cette gazette n’a aucun sens, mais en même temps, c’est moi qui n’ai aucun sens maman. C’est un condensé de ce qui m’a traversé en cette semaine compliquée, et la lecture de Contre Sainte-Beuve de Proust ne m'a pas aidé à calmer mes sentiments. Ne vous inquiétez pas, la joie m’a rattrapé et j’ai l’impression que la semaine qui arrive va bien mieux se passer, que je saurais faire tout ce que j’ai à faire, tout en prenant des verres avec des copains, et en sortant un soir faire la fête tant qu’on y est… Je m'emballe peut-être.
En-tout-cas, nous sommes dimanche, c’est l’heure du dîner, ou du thé de fin d'après-midi, et je sens de ma chambre la compote de pommes que mon père est en train de préparer et qui annonce la saison de l’automne officiellement ouverte. Cette douce odeur sera bientôt accompagnée de celle du feu de cheminée, des écharpes et des gants, des feuilles qui tombent rougeâtres et des lampadaires allumés le matin au réveil et le soir pour le retour de l’école. Ils ne sont pas là, mais ils sont collés à l’odeur des pommes dans mes souvenirs et se réveillent en même temps. C’est ça qui me rend heureux cette semaine, l’éveil des souvenirs qui me rappelle que je ne suis pas qu’un élève quelconque perdu dans son temps et qui galère avec les cours, mais bien le membre d’une famille qui reste là malgré le temps qui passe.
Merci de m’avoir lu, j’espère ne pas vous avoir perdu.
À la semaine prochaine,
Votre jeune étudiant,
Léonard Pauchon