Loi climat : les fédérations furieuses de l'amendement limitant la construction d'entrepôts e-commerce

Les sénateurs ont adopté un amendement le 28 juin. Objectif : contrôler la création d'entrepôts de plus de 5000 mètres carrés, hors friches, afin d'éviter l'artificialisation des sols. Pour les fédérations de l'e-commerce et de la logistique, si le texte est définitivement adopté cet été, il conduira immanquablement à des délocalisations d'entrepôts. Une "catastrophe" à la fois écologique et économique.

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Loi climat : les fédérations furieuses de l'amendement limitant la construction d'entrepôts e-commerce

Le 28 juin, les sénateurs ont adopté un amendement à la loi Climat et Résilience, visant à contrôler plus étroitement la création d'entrepôts e-commerce géants de plus de 5000 mètres carrés. Ces espaces de stockage ne peuvent être construits sur des espaces naturels que s'ils obtiennent une autorisation d’exploitation commerciale, délivrée par la Commission départementale d’aménagement commercial (CDAC), indique le texte, dont la version définitive sera votée cet été.

"Cette démarche administrative viendrait encore allonger les délais de construction des entrepôts en France. Ils sont déjà en moyenne de 12 à 18 mois, contre 6 à 9 mois chez nos voisins directs. La compétitivité de la logistique tricolore en prendrait un coup", souligne Alexis Degouy, délégué général de l'Union des entreprises de transport et de logistique de France (UTLF).

150 000 emplois en France

Conduits par la pandémie à développer fortement leur activité e-commerce, les e-marchands, mais également les distributeurs et les marques, ont un besoin croissant d'entrepôts dédiés à la vente en ligne. Si le texte est adopté tel quel, ils n'auront d'autre choix que de délocaliser en partie leur logistique, car les espaces de stockage tricolore ne pourront être créés assez vite pour absorber cette demande. "Cet amendement est une catastrophe. Il nous conduira à abandonner notre souveraineté économique sur ce secteur clef de l'économie. Le gisement d'emplois que représente pour la France l'ouverture d'entrepôts e-commerce sera perdu", pointe Marc Lolivier, délégué général de la Fédération du e-commerce et de la vente à distance (Fevad). Des acteurs étrangers comme l'allemand Zalando, qui vient d'annoncer 300 millions d'euros d'investissement pour créer son deuxième entrepôt français, avec 2000 postes à la clef, se poseront deux fois la question avant de placer leurs pions dans l'Hexagone.

Selon l'UTLF, sur les 1,8 million d'emplois que totalise le secteur de la logistique en France, un peu moins de 10% sont directement liés à l'e-commerce, soit environ 150 000 postes, drives inclus. Ces chiffres vont aller croissant, portés par le boom du digital. Mais attention : la vente en ligne conduit également à des fermetures de magasins et donc à des licenciements. "Plus le commerce en ligne est fort dans un secteur, plus la baisse de l’emploi est marquée", indique même  un rapport commandité par sept membres du gouvernement à l'agence France Stratégie, remis en mars 2021.

Un objectif environnemental manqué

Les espaces de stockage construits sur des friches sont exemptés du dépôt de dossier auprès de la CDAC. Car la visée du texte est simple : limiter l'artificialisation des sols en France, qui progresse chaque année de 8,5%, soit un département tricolore moyen entre 2006 et 2015, dont les terrains de pleine terre ont été transformés en espaces artificiels. Mais en Europe, 1,5% seulement de cette "bétonnisation" est liée à la logistique et 0,3% aux entrepôts e-commerce, selon une étude d'Oliver Wyman datée d'avril 2021. C'est, en comparaison, plus de 40% pour l'habitat, selon le Ministère de l'agriculture... "Cet amendement passe donc complètement à côté de l'objectif principal de cette loi, qui est de mettre fin à cette artificialisation des sols", se désole Alexis Degouy. Pire, "c'est un non-sens environnemental. Car si le texte est adopté tel quel, les délocalisations qu'il ne manquera pas de produire allongeront fortement les distances parcourues par les marchandises entre leur lieu de stockage et le client final. Le bilan carbone de la vente en ligne s'en trouverait alourdi", renchérit Marc Lolivier.

Le sort de la loi climat sera définitivement décidé lors de la commission mixte paritaire qui se déroulera cet été. Elle réunira sept députés et autant de sénateurs, afin de trouver un compromis entre l'Assemblée nationale et le Sénat sur le texte définitif. Si jamais les négociations n'aboutissent pas, la Chambre basse, en désaccord avec cet amendement, aura pour rappel le dernier mot. Il n'est donc pas certain qu'il fasse partie du texte définitif. Le projet de loi initial, entré en première lecture à l'Assemblée nationale le 10 février 2021, ne concernait pas les e-marchands mais leurs frères ennemis, les géants de la distribution comme Carrefour ou Ikea, ainsi que les entreprises d'immobilier pilotant de grands centres commerciaux. Sa principale proposition : interdire la construction de surfaces commerciales de plus de 10 000 mètres carrées sur des terrains de pleine terre.

Equité concurrentielle

Pourquoi les sénateurs ont voulu y intégrer les entrepôts e-commerce ? Ces derniers sont pour l'instant traités par la loi comme des "Installations classées protection de l'environnement". A ce titre, ils doivent répondre à des obligations liées à la santé et à la sécurité. "Cette règlementation est stricte et concerne également la préservation de la faune, de la flore, des surfaces boisées", insiste Alexis Degouy. Insuffisant pour les sénateurs : ils considèrent que ces espaces de stockage ont un impact bien plus large, notamment sur l'environnement, la gestion des flux de marchandises, sur l'emploi, mais aussi sur le dynamisme des centres villes, comme… les grandes surfaces commerciales. Pour le Sénat, il est donc logique de soumettre leur construction à un accord préalable de la CDAC, qui encadre aujourd'hui la construction de surfaces commerciales de plus de 1000 mètres carrés.

Les parlementaires de la Chambre haute ont surtout voulu soumettre les e-commerçants et les marchands brick and mortar aux mêmes règles et ne s'en cachent pas. Cet amendement vise à rétablir une "forme d’équité concurrentielle entre les deux types de commerce, physique et en ligne. Bien entendu, tous les entrepôts ne présentent pas la même finalité : contrairement aux locaux de stockage ayant une finalité industrielle, les entrepôts du commerce en ligne représentent, eux, l’armature qui structure ce canal de vente. Dès lors, la dichotomie entre l’importante règlementation qui encadre les locaux du commerce physique et la faiblesse de celle relative aux entrepôts du commerce en ligne n’est pas justifiée", indiquent-ils sans ambages dans le texte détaillant la nouvelle version de la loi.

Les distributeurs aussi gênés que les e-commerçants

Pourtant, cet amendement est loin de résoudre ce problème d'équité, bien au contraire. Les sénateurs, absorbés par leur combat pour encadrer les puissants Gafam en France, ont oublié de se poser la question des entreprises qu'il cible réellement. Et elles sont loin de se résumer à Amazon, qui compte 28 entrepôt tricolores d'environ 10 000 mètres carrés, sur un total de 570 entrepôts de plus de 5000 mètres carrés dédiés à l'e-commerce selon une enquête du Monde. "Tous les e-commerçants français sont concernés, que ce soit de grandes entreprises ou des PME, qu'elles détiennent des entrepôts en propre ou qu'elles les louent à des foncières. Les distributeurs en dur, qui ont beaucoup investi dans la digitalisation de leurs ventes pendant la pandémie, utilisent eux aussi des entrepôts dédiés à l'e-commerce ! ", souligne le délégué général de la Fevad. Pour les retailers, c'est donc la double peine. Non seulement ils doivent présenter un dossier à la CDAC pour leurs espaces commerciaux de plus de 1000 mètres carrés, mais ils devront le faire aussi pour leurs entrepôts e-commerce.

La part de biens destinée à l'e-commerce au-dessus de laquelle ces espaces de stockage sont considérés comme destinés "principalement" à la vente en ligne sera fixée par décret. Il sera bien difficile d'établir ce pourcentage pour le législateur : "de nombreux entrepôts sont omnicanaux, destinés partiellement à l'e-commerce et partiellement à la vente en magasin", souligne Alexis Degouy.

 

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