Il arrive parfois lors de discussion avec des cliniciens que je me rende compte qu’ils mettent plus d’importance sur leur expérience clinique avec un traitement que sur les données probantes. Par exemple, ils ont parfois beaucoup de difficulté à reconnaître la pertinence de certains résultats de recherche, car ils ont observé le contraire dans leur pratique clinique. Or, ceci pourrait s’expliquer par l’effet du placebo actif. Voici des exemples d’études intéressantes sur le sujet des placebos actifs qui stimuleront votre réflexion.
Dans une première étude, les chercheurs ont comparé un analgésique avec un placebo. Toutefois, pour un des groupes recevant le placebo, les chercheurs ont ajouté un médicament qui a pour effet d’assécher la bouche. Ceci faisait en sorte que ces participants croyaient être dans le groupe recevant le vrai traitement analgésique expérimental. Ainsi, ils savaient que la réponse normalement attendue d’un tel traitement est le soulagement. Les résultats montrent justement que les participants du groupe placebo étaient tout autant soulagés que le groupe recevant le traitement analgésique véritable : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/28178072 Comme quoi les attentes qu’on a envers nous peuvent influencer notre façon de répondre…
Dans une deuxième étude, les chercheurs ont comparé cette fois un antidépresseur et un placebo actif. Or les résultats sont encore très intrigants. Une fois de plus, le placebo actif provoque des effets reconnaissables pour le participant, mais le placebo ne contient pourtant aucun produit thérapeutique. Les participants du groupe placebo croient ainsi recevoir l’antidépresseur réel. Les participants s’attendent ainsi à être soulagés de leurs symptômes dépressifs. Or, les résultats indiquent que la différence entre l’effet de l’antidépresseur et le placebo actif est petite :
https://www.raggeduniversity.co.uk/wp-content/uploads/2016/11/CD003012.pdf
Ces résultats surprenants bousculent nos convictions et on ne veut pas y croire. Toutefois, une nouvelle méta-analyse dans une revue scientifique de qualité indique que l’effet des antidépresseurs n’est pas cliniquement significatif : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/28178949
Or, je suis certain qu’il y a plusieurs patients recevant ces traitements qui disent aux cliniciens qu’ils se sentent bien grâce à ces médicaments. Je suis certain qu’ils le communiquent avec conviction. Ainsi, pour ces cliniciens, ils sont certains que le médicament a des effets positifs. C’est pour cela que lorsque des résultats de recherche indiquent le contraire de ce qu’ils observent en pratique, ils préfèrent croire leurs patients que de baser leur pratique sur la science. Qui plus est, si la science vient remettre en question une pratique établie, ce sera très difficile de faire changer les choses.
À titre d’exemple, un traitement longtemps utilisé aux soins intensifs (kétamine) est maintenant remis en question en raison d’une étude scientifique multicentrique. Ce traitement était donné pour contrer le delirium et la douleur, mais finalement, une étude du Lancet montre qu’il ne s’avère pas efficace : https://medicine.wustl.edu/news/drug-believed-reduce-postoperative-pain-delirium-neither/ Pourtant tous les cliniciens étaient convaincus de l'efficacité de ce produit.
Il est possible que certains cliniciens diront qu’il ne faut pas diffuser les résultats cités concernant les antidépresseurs par peur que des patients cessent leurs traitements. Or, j’encourage plutôt les cliniciens à prendre le virage du « patient-partenaire » dans une relation égalitaire visant à prendre des décisions partagées. Il a été démontré que ceci améliorait la qualité des soins et les décisions cliniques des professionnels. Nous sommes chanceux, car nous avons au Québec des sommités mondiales dans ce domaine!
http://www.decision.chaire.fmed.ulaval.ca/accueil/
http://www.decisionbox.ulaval.ca/fileadmin/documents/decisionbox/document/fr_DBox.inhibitor.cholinesterase.pdf
http://www.boitedecision.ulaval.ca/index.php?id=810&L=0
http://www.cfp.ca/content/63/9/e377.long
En bref, il faut que les décisions cliniques soient prises en partenariat avec les patients en les informant le plus clairement possible sur les avantages et inconvénients des traitements offerts. Il faut retenir aussi que l’expérience clinique et la réaction des patients aux divers traitements prodigués comportent aussi des biais. Les patients peuvent nous induire en erreur dans notre appréciation de l’efficacité d’un traitement. C’est à ce moment que la science peut venir nous aider!