Dans un commentaire à un de mes textes, une personne évoquait, de façon élogieuse, ma propension à défourailler. Certes, je n’emploie pas la langue de bois, ayant pour principe cardinal d’appeler un chat un chat, à contre-courant de ce qui se pratique dans le médico-social, entre autres, mais je ne canarde pas pour autant. Je peux me permettre le franc-parler, je n’ai rien à perdre, ni à vendre ni à acheter. La seule chose qui m’importe, c’est de déposer ma petite graine de conscientisation dans l’espoir de faire évoluer les pratiques professionnelles dans le champ du médico-social. Par conséquent, mon objectif n’est pas de défourailler mais bien d’interpeller, de faire réfléchir, voire de déranger les bonnes consciences engluées dans leur bon droit et leur complexe de supériorité.
Pour défourailler, il faut avoir des comptes à régler. Je n’ai pas de comptes à régler. Quand je pense à ma vie sous haute dépendance et au médico-social, c’est davantage de la tristesse et du dépit que de la colère et du ressentiment que j’éprouve. À mes yeux, ce qui se passe dans le milieu de l’accompagnement des personnes en situation de handicap, de précarité sociale ou de vieillesse, c’est un grand gâchis par manque d’humanité, de lucidité et de courage. Aucune idéologie n’est empathique, donc compatible avec toute idée d’humanitude et d’humanisme, au sens profond du terme.
Je dis ce que j’ai vécu, ce que j’ai vu, ce que j’ai entendu, ce que j’en ai déduit et ce que j’ai conclu de mon expertise à double casquette. Car indéniablement ma spécificité est également ma richesse à tous points de vue. Rien n’étant plus enrichissant et stimulant que d’être à la fois acteur et spectateur de sa vie, cobaye et explorateur. Je n’ai pas la prétention d’avoir raison mais je sais que j’ai derrière moi une expérience unique et significative. Et j’essaye d’être le plus impartial et objectif possible dans mes prises de position, ne défendant jamais un bord plus que l’autre sans motif indéniable.
S’il y a des explications valables et des justifications entendables pour légitimer certaines dérives et maltraitances, tous les arguments invoqués, pour expliquer les innombrables manquements dans la sphère du médico-social, ne sont pas acceptables. D’où l’urgence de les dénoncer.
Après le temps de l’action et de l’expérimentation, voici donc venu pour moi celui du bilan et du partage expérientiels.
Je déplore l’absence de réelle volonté consensuelle afin d’améliorer les conditions de travail des uns et les conditions de vie des autres. Je déplore le manque d’engagement solidaire de toutes les parties prenantes dans le médico-social. Tout ne semble être qu’affaire de chapelles, de clochers, de clans. Tout est hiérarchisé, sectorisé et cloisonné. Partant, trop de petites mesquineries et d’hypocrisies réfrènent toute velléité de réformer le médico-social en profondeur. Comme s’il ne fallait pas mélanger les torchons et les serviettes ? À chacun son domaine de compétence ou d’incompétence. Alors qu’il serait vital de dialoguer ouvertement et sans a priori, d’aller dans la même direction et de défendre les mêmes valeurs, de réunir les différents savoirs au profit de tout le monde.
Il y aurait moins de souffrances et de malentendus, voire de mésententes, si les parents étaient accompagnés et conseillés dès l’apparition du handicap de leur enfant car, avoir un enfant handicapé, c’est une violence psychologique encore trop impensée.
Et si l’on cessait de stigmatiser les professionnels, de les exploiter et de leur mettre la pression par la culpabilité et/ou le chantage ?
Et si l’on cessait de cultiver l’assistanat, de surprotéger, d’infantiliser et de médicaliser à tort et à travers les personnes en situation de dépendance ?
Trop de dialogues de sourds, de défiances mutuelles, de rapports de force, d’idéologies doctes, voire d’intégrisme bienveillant, revêtues de bonne conscience et de bien-pensance présomptueuses, polluent le médico-social. Et si l’on remettait tout le système vraiment à plat plutôt que de faire continuellement du rafistolage ? C’est le défi du XXIe siècle.
Excepté que je ne sais pratiquer que le parler vrai, je n’ai rien à gagner ni à perdre, que ce défi soit relevé ou non, abstraction faite d’une bonne conscience d’avoir tout fait pour essayer d’ouvrir les yeux, de faire bouger les lignes, de mettre chacun devant ses responsabilités et avec sa conscience.
Cependant, le fait que mon expertise et mes interpellations ne laissent pas indifférent montre peut-être que mon analyse et mes constats sont porteurs d’une certaine vérité ?
Je vous remercie sincèrement de me suivre et j’en profite pour vous souhaiter de bonnes fêtes de fin d’année en famille et à l’année prochaine.
D’ici-là, je publierai un article sous peu.
Marcel Nuss