Sculpture Volodymyr Tsisaryk
L'énonciation clivée
L’honneur et l’amour sont deux impulsions parallèles, qui se rejoignent dans ce qu’on appelle un «dilemme cornélien», en référence à la célèbre histoire d'amour de Chimène et Rodrigue. La pièce raconte un drame : l’homme que Chimène aime a tué son père et elle, partagée entre son amour et l’honneur de son père, doit choisir entre les injonctions de Rodrigue qui la somme de le punir voire de le tuer et les tourments de son cœur :
Don Rodrigue : Punis-moi par vengeance, ou du moins par pitié.Ton malheureux amant aura bien moins de peineÀ mourir par ta main qu’à vivre avec ta haine. "Chimène : Va, je ne te hais point.
Cette situation de cruel dilemne me fait penser à un cas clinique. celui d'une patiente qui tente d'échapper à deux angoisses contradictoires mais indissociables qui montent en elle : l’angoisse de se rapprocher de la partie de soi-même clivée dont on elle s’est débarrassée en l’expulsant dans l’objet, et celle de perdre cette partie à jamais en se séparant de ce même objet.
Nous rencontrons ici une dichotomie entre le principe du bien et celui du mal; le bien étant ce qui donne du plaisir et le mal ce qui procure du déplaisir.
L'énonciation clivée permet des visées pragmatiques mais divergentes : dire moins pour minimiser le sujet qui fâche, ou au contraire dire moins pour faire entendre plus.
Or, il arrive que cette divergence bien admise se dérobe sous des formes communes. Des énoncés comme « Vous n’ignorez pas que », ou « Vous n’êtes pas sans savoir que », se signalent par la négation du terme marqué qui affiche le caractère ambivalent de la double négation.
Ce « va » est l’arme privilégiée de Chimène pour rejeter les multiples assauts de Rodrigue qui la « travaillle au corps ».
C'est une façon d’éviter la fusion et l’angoisse de séparation par la mécanique du même. Puisque à un moment T, j'ai été cette personne, puis-je devenir autre sans me manquer à moi-même, sans être déloyale ? Cette modalité de défense opère devant le balancement trop éprouvant entre l’angoisse de réunion et l’angoisse de séparation.
En d’autres termes, le désir de fusion, n’est pas seulement le besoin du retour au sein primitif, mais l’obsession de reprendre en soi ce qui aurait été déchiré, clivé par le sevrage traumatique, de façon à refaire l’unité, l’identité du Moi.
Les traumatismes, les chocs dont cette patiente n’a pu amortir la force lui laissent un sentiment d’impuissance, d’infériorité, un manque d’estime d'elle-même : elle est toujours la seconde.
Parfois, nous avons tendance à souhaiter être responsable des malheurs engendrés plutôt que de reconnaître que nous ne partageons pas la toute-puissance du personnage parental enfoui au fond de nous-même.
Je constate que le choc, même s’il vient de l’extérieur, provoque une excitation venue de l’intérieur ; le sujet se vit alors comme passif, cette passivité est redoutée, refusée et retournée en auto-accusation " je suis nulle ", pour masquer la honte de la dépendance à l’excitation.
Si les traumatismes dus à la séparation ont été très importants, la soif de réunion avec l’objet suscite non plus seulement de la culpabilité ni même de la honte mais surtout une angoisse très vive faite de la peur du rapprochement et de l’intrusion ainsi que de la frayeur de revivre un abandon.
En effet, la rage de l’impuissance, la blessure d’avoir été délaissée induisent que par identification projective, on imagine alors que c’est l'autre qui vous rejette brutalement. Le sentiment d’abandon est parfois le résultat du rejet, de son propre rejet, comme si l’on préférait plutôt se sentir abandonné que « méchant » ou agressif.
L’envie de réunion est le moment qui suit l’angoisse de séparation ; elle constitue, une force d’intégration tournée vers les objets internes idéalisés.
L’angoisse de réunion est un signal d’alarme devant le rapprochement d’un objet lié au risque imminent de se trouver en des situations traumatiques, c’est-à-dire de raviver une profonde blessure née d’une séparation renouvelée, source de frustration, de détresse, d’humiliation, emplissant le moi de haine et de poussées destructrices envers cet objet.
Un certain dégagement de l’emprise permet alors une renaissance de l’estime de soi, la honte apparaît, le lien peut être revitalisé.