NULLITE RELATIVE D’UNE VENTE D’IMMEUBLE

ENTRE LE BAILLEUR ET LE LOCATAIRE

REALISEE HORS DELAI ET DROITS DES TIERS

I. LES FAITS

 

Un bailleur notifie à sa locataire un congé pour vendre, dans le délai légal de six mois avant l'expiration du bail, conformément aux dispositions de l'article 15-I alinéa 2 de la loi du 6 juillet 1989.

 

Une promesse synallagmatique de vente est conclue entre le propriétaire-bailleur et des personnes tierces, non parties au contrat de bail, à un prix plus avantageux que celui mentionné dans le congé pour vendre délivré à la locataire, la promesse étant conclue sous la condition suspensive du non-exercice par cette dernière de son droit de préemption.

 

Le Notaire en l’étude duquel a été enregistrée la promesse, notifie donc à la locataire, en vertu du droit de préemption de celle-ci, une nouvelle offre de vente, portant sur le nouveau prix de vente négocié avec les consorts tiers.

 

Cette offre de vente est acceptée par lettre recommandée AR de la locataire notifiée au notaire le 31 juillet 2009, laquelle indique son intention de recourir à un prêt, de sorte que le délai de réalisation de la vente est porté à quatre mois à compter de l’acception du 31 juillet 2009, conformément aux dispositions de l’article 15-II de la loi du 6 juillet 1989 ; la vente doit donc être réitérée par acte authentique avant le 30 novembre 2009, date limite, sous peine de nullité, en application du même texte.

 

Or, la vente est finalement régularisée par le Notaire en date du 3 décembre 2009, soit postérieurement au délai de quatre mois précité. Dans ces conditions, les tiers bénéficiaires de la promesse synallagmatique de vente, estimant que les conditions suspensives de celle-ci étaient accomplies depuis le 30 novembre 2009, date à laquelle l’acceptation par la locataire de l’offre de vente était nulle de plein droit et que le notaire a commis une faute exposant sa responsabilité civile professionnelle en acceptant de prêter son ministère pour conférer le caractère authentique à une convention qu’il savait illicite, ont assigné celui-ci et sollicité la réparation de leur préjudice subi.

 

II. DISCUSSION

 

A- NATURE ET REGIME DE LA NULLITE RELATIVE DE L’ACCEPTATION PAR LE LOCATAIRE DE L’OFFRE DE VENTE DANS LE MECANISME DU CONGE POUR VENDRE DE L’ARTICLE 15-II DE LA LOI DU 6 JUILLET 1989

 

Dans le mécanisme de l’article 15-II de la loi du 6 juillet 1989, lorsque le propriétaire-bailleur ayant délivré congé pour vendre au locataire décide de vendre à des conditions ou un prix plus avantageux pour l’acquéreur, le notaire doit, comme en l’espèce, lorsque le bailleur n’y a pas préalablement procédé, notifier au locataire ces conditions et prix, cette notification valant offre de vente au profit du locataire.

 

La loi du 21 juillet 1994 a en effet remplacé le droit de substitution à postériori du locataire au tiers acquéreur, par une notification préalable de la vente ouvrant au locataire, qui n’a pas accepté la première offre qui lui a été soumise, un second droit de préemption.

 

Ainsi, le locataire qui accepte cette offre dans le mois de sa réception dispose d’un délai de deux ou quatre mois à compter de la date d’envoi de sa réponse au bailleur ou au notaire, selon qu’il a l’intention de recourir ou non à un prêt, pour la réalisation de l’acte de vente.

 

A défaut de respecter ce délai, le texte dispose que l’acceptation de l’offre de vente par le locataire est nulle de plein droit, en cas de non-réalisation de la vente.

 

Concrètement, le propriétaire bailleur recouvre en principe sa liberté de vendre le bien immobilier au même prix, à un autre acquéreur, en étant délié de son obligation de respecter le droit de préemption de son locataire.

 

Est-il pour autant tenu d’écarter ce dernier et de conclure la vente au bénéfice de personnes tierces titulaires d’une promesse synallagmatique à priori consolidée ou a-t-il encore le choix et peut-il encore opter en faveur de son locataire et conclure la vente avec lui ?

 

La question se pose en particulier lorsque le locataire obtient concrètement l’accord de sa banque sur le prêt immobilier quelques jours après expiration du délai légal à l’intérieur duquel la vente doit être réitérée par acte authentique.

 

En l’espèce, le propriétaire a accepté de régulariser la vente avec la locataire, nonobstant l’expiration du délai de quatre mois et le Notaire a prêté son concours en acceptant de recevoir l’acte.

 

La Cour de cassation a validé cette position, considérant que la nullité de l’acceptation de l’offre de vente édictée par l’article 15-II, alinéa 5 de la loi du 6 juillet 1989 était une nullité relative instituée au profit du propriétaire bailleur et qu’en conséquence, celui-ci était parfaitement en droit d’y renoncer.

 

Il s’agit d’une application pure et simple du régime juridique de la nullité relative qui, rappelons-le, tend à protéger les intérêts particuliers d’un cocontractant, de telle sorte que celui-ci peut seul l’invoquer ou la confirmer, c’est-à-dire renoncer à s’en prévaloir en toute connaissance de cause.

 

Dès lors que le propriétaire-bailleur confirme la nullité relative, il est donc libre de poursuivre la vente avec son locataire, l’acceptation de l’offre de vente par celui-ci étant parfaitement valable et ne pouvant être sanctionnée par la nullité nonobstant l’expiration du délai de quatre mois.

 

B- CONCOURS D’UNE PROMESSE SYNALLAGMATIQUE DE VENTE ET DU DROIT DU PREEMPTION DU LOCATAIRE

 

La question se pose de savoir quel contrat de vente privilégier dans l’hypothèse où la promesse synallagmatique de vente conclue avec des tiers serait consolidée et viendrait en concours avec l’acte de vente finalement consenti par le bailleur au profit de son locataire dans les conditions particulières précitées.

 

Autrement dit, quelle solution adopter si le compromis est conclu sous la condition suspensive du non-exercice du droit de préemption du locataire avant une date butoir clairement et expressément stipulée, marquant l’expiration du délai légal de deux ou quatre mois, en l’espèce le 30 novembre 2009 ?

 

Dès lors qu’à l’échéance contractuellement fixée, le locataire n’a pas réitéré la vente par acte authentique, son acceptation de l’offre de vente est certes frappée de nullité relative, mais encore la condition suspensive est réputée accomplie et la promesse synallagmatique de vente est parfaite, ce qui signifie qu’elle vaut vente au profit de ses bénéficiaires.

 

C’est précisément la réalisation de cette condition suspensive qui a incité ces derniers à ester en justice en se prévalant de la promesse conclue et consolidée antérieurement à l’acte de vente finalement régularisé au profit de la locataire, considérant que celui-ci méconnaissait leurs droits, même s’il n’apparaît pas qu’en l’espèce, la date butoir du 30 novembre 2009 pour la réalisation de la condition suspensive était expressément stipulée dans la promesse, de sorte qu’elle était implicitement déduite par eux de l’arrivée du terme légal.

 

La logique juridique voudrait que dans pareille hypothèse, l’acte de vente consenti au locataire s’impose par préférence à la promesse synallagmatique de vente, même si celle-ci bénéficie d’une antériorité par rapport à lui, dès lors que le bailleur a choisi de faire primer le droit de préemption du locataire alors qu’il n’y était plus tenu du fait de la réitération de la vente postérieurement au délai de validité de l’acception de l’offre de vente par le locataire.

 

Gageons que la position de la Cour de cassation aurait été identique si la promesse avait expressément stipulé un délai butoir pour la réalisation de la condition suspensive…

 

Newsletter en collaboration avec : Maître Philippe Gomar

 

Textes visés : Code civil – Article 1382

                        Loi du 6 juillet 1989 – Article 15-II

 

Référence : Cass. 1è civ., 15 janvier 2015, n° 14-11019, FS-P+B

Cabinet d'avocats du Quai de la Tournelle

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